Toute l’année, Richard Hétu et Yves Boisvert nous informent sur les élections américaines dans une infolettre envoyée le mardi. Leurs textes sont ensuite repris dans La Presse+, le mercredi.

(New York) Ce n’est qu’un mauvais moment dont Joe Biden se remettra.

C’est la faute des responsables de sa préparation au débat, dont certains devraient être virés pour incompétence.

Ce n’est guère différent de la situation dans laquelle se sont retrouvés d’autres présidents sortants, y compris Barack Obama, qui ont mal paru lors de leurs premiers débats présidentiels avant d’être réélus.

Le camp Biden a servi aux journalistes et au public ces excuses et d’autres encore pour expliquer ou minimiser la performance calamiteuse du président octogénaire lors du débat présidentiel de jeudi dernier à Atlanta.

PHOTO MATT KELLEY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le président Joe Biden lors d’un rassemblement de campagne à Raleigh, en Caroline du Nord, le 28 juin

Il s’est aussi réjoui du discours énergique que Joe Biden a prononcé le lendemain à Raleigh, en Caroline du Nord, où des télésouffleurs avaient été mis à sa disposition.

Et il a rappelé que ce n’est pas la première fois que l’élite médiatique et politique enterre le bon vieux Joe. N’avait-elle pas fait la même chose lors de la course à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de 2020 ?

Peut-être. Mais il est difficile, voire impossible, d’échapper à l’impression que les conseillers et les membres de la famille de Joe Biden, y compris sa femme, Jill, vivent aujourd’hui dans un profond déni.

Et ce déni vire peut-être au mensonge pour certains d’entre eux.

Car ce n’était pas qu’un mauvais moment. Lors d’une soirée récente de collecte de fonds à Hollywood, Joe Biden a également eu du mal à tenir des propos cohérents et à finir ses phrases. À la fin de l’activité, une vidéo montrant Barack Obama prenant le bras de son ancien vice-président pour l’entraîner vers la sortie a servi à illustrer – ou renforcer – l’image d’un président déclinant.

Bien sûr, Barack Obama a rapidement exprimé son soutien à Joe Biden au lendemain du débat, évoquant sur X sa propre performance perdante contre Mitt Romney lors du premier duel présidentiel de 2012. Mais il devait bien savoir qu’un silence de sa part aurait été interprété comme un désaveu.

De 15 à 20 situations semblables

Le journaliste légendaire Carl Bernstein a confirmé lundi soir sur CNN que le débat d’Atlanta n’était pas qu’un mauvais moment. Il a fait état de 15 à 20 situations semblables « au spectacle d’horreur » de jeudi soir dernier ayant été observées par des gens qui se sont confiés à lui.

« Il s’agit de personnes, dont plusieurs sont très proches du président Biden, qui l’ont aimé, l’ont soutenu, et parmi elles se trouvent des personnes qui collecteraient beaucoup d’argent pour lui », a déclaré M. Bernstein, qui a révélé le scandale du Watergate aux côtés de Bob Woodward et contribué à la démission du président Richard Nixon en août 1974.

« Ils sont convaincus que ce que nous avons vu l’autre soir, le Joe Biden que nous avons vu, n’est pas un cas unique, qu’il y a eu 15, 20 occasions au cours de l’année et demie écoulée où le président est apparu un peu comme il l’a fait dans ce spectacle d’horreur auquel nous avons assisté. »

Le journaliste a notamment fait référence à une activité de collecte de fonds tenue en juin 2023 dans un restaurant de Park Avenue, à New York. Joe Biden a dû quitter le lutrin devant lequel il se tenait et s’asseoir sur une chaise qu’on lui offrait. Selon M. Bernstein, le corps du président est devenu « très raide », comme pris dans une « rigidité cadavérique ».

L’ancien journaliste du Washington Post a tenu ces propos après que Joe Biden a fait une brève intervention à la Maison-Blanche sur la décision controversée de la Cour suprême dans l’affaire de l’immunité pénale revendiquée par Donald Trump. Il s’est exprimé d’une voix ferme sur un sujet qui est au cœur de sa campagne, la démocratie américaine.

Pour ses défenseurs, il s’agissait du « président Biden au meilleur de sa forme », comme l’a souligné Carl Bernstein. « Et pourtant, a-t-il ajouté, ces personnes qui l’ont soutenu, aimé, qui ont fait campagne pour lui, qui le voient souvent, disent qu’au cours des six derniers mois en particulier, il y a eu une incidence marquée du déclin cognitif et de l’infirmité physique. »

Il va sans dire qu’il se trouve à Washington des élus démocrates qui reçoivent les mêmes confidences que Carl Bernstein ou qui ont eux-mêmes été témoins des « mauvais jours » de Joe Biden.

Nombre d’entre eux continuent à le soutenir en public par calcul politique, tout en reconnaissant en privé que le débat d’Atlanta a plongé leur parti dans une « crise », pour reprendre le mot de l’ancienne sénatrice démocrate du Missouri Claire McCaskill.

Des questions sur son état de santé

Cette crise s’accompagne de nouvelles questions sur la santé de Joe Biden. L’expression figée de son visage pendant le débat d’Atlanta a notamment contribué à alimenter encore davantage l’idée que le président souffre de la maladie de Parkinson. D’autant plus que le « masque de Parkinson », comme le veut la formule consacrée, est souvent accompagné d’une voix faible.

Cette idée n’est pas seulement débattue par des amateurs, mais également par des gériatres et d’autres spécialistes. Ces derniers se gardent bien d’établir un diagnostic à distance ou de tirer des conclusions en public sur la façon dont Joe Biden pourrait être affecté par cette maladie du cerveau qui entraîne des problèmes moteurs et des troubles de santé mentale, entre autres. Mais…

« Mais en l’absence de diagnostic, il ne reste qu’une conclusion indéniable », a écrit Vinson Cunningham, journaliste à l’hebdomadaire The New Yorker, dans un article mentionnant l’expression figée de Joe Biden à Atlanta et la maladie de Parkinson. « Tout le monde sait maintenant que la performance de Biden a nui à ses chances face à Trump, peut-être de manière irrévocable. »

Et le déni du camp Biden n’y peut rien.

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