Le premier débat présidentiel entre Donald Trump et Joe Biden, diffusé jeudi soir, a suscité de nombreuses questions parmi nos lecteurs. La Presse s’est entretenue avec Julien Tourreille, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal, et Karine Prémont, professeure en politique appliquée à l’Université de Sherbrooke, pour répondre à vos questions.

Les démocrates pourraient-ils remplacer très rapidement Joe Biden comme candidat après sa désastreuse prestation pleine de confusion ? Quel sera le processus ?

Luc Cournoyer

D’après Julien Tourreille, les démocrates ne peuvent pas remplacer rapidement Joe Biden, « car le seul moment où ils peuvent le faire, c’est à leur convention » qui aura lieu au mois d’août à Chicago.

« Il faudrait que les délégués qui ont été [élus] dans le processus des primaires et dont Joe Biden a remporté l’écrasante majorité décident eux-mêmes […] de ne pas voter pour [lui à la convention] », explique M. Tourreille.

« Au collège électoral, dans la plupart des États, les grands électeurs [pour la présidentielle], qui représentent le choix des électeurs, sont tenus de voter conformément aux résultats de l’élection dans leur État », indique M. Tourreille, tandis qu’au parti démocrate, les délégués « n’ont pas d’obligation statutaire de voter » pour Joe Biden. Il s’agit plutôt d’une « promesse de vote ». Son remplacement est donc une possibilité, mais il faudrait quand même « convaincre la majorité des délégués de ne pas voter pour Joe Biden et ce n’est pas acquis ».

Est-ce que la décision de laisser sa place doit venir de M. Biden ou le parti démocrate peut prendre la décision ?

Charles Trépanier

« Ça doit venir de M. Biden, parce que tant qu’il ne se retire pas, il demeure candidat, explique Karine Prémont. En principe, il a obtenu le nombre de délégués nécessaires pour une nomination présidentielle [durant les primaires]. »

Par contre, comme mentionné précédemment, les délégués peuvent décider d’écarter Joe Biden lors de leur convention, mais d’après M. Tourreille, le plus simple serait que M. Biden prenne cette décision.

« Ce serait surprenant que Joe Biden quitte à ce stade-ci, mais tout est possible », estime Mme Prémont. Selon elle, les démocrates vont probablement attendre que la poussière retombe dans les prochains mois, d’autant plus que « c’est la convention républicaine qui s’en vient dans deux semaines, alors l’attention des médias et des gens va être tournée vers les républicains », ce qui pourrait « permettre au camp démocrate de se ressaisir et de voir quelle stratégie il peut utiliser pour la suite des choses ».

Biden pourrait-il se faire remplacer par Kamala Harris pour le deuxième débat ? Et pour le reste de la campagne, s’il se désiste ?

Micheline Paquet

PHOTO RONDA CHURCHILL, ASSOCIATED PRESS

La vice-présidente Kamala Harris

Kamala Harris ne pourrait pas remplacer Joe Biden lors du deuxième débat, puisqu’il s’agit d’un débat présidentiel, et non vice-présidentiel, explique Mme Prémont. « Ce sont des débats bien distincts, dit-elle. C’est comme si on avait un débat des chefs ici et que Legault décidait d’envoyer son ministre à sa place, ce n’est pas possible ».

Si Joe Biden se désistait, Kamala Harris ne deviendrait pas automatiquement une candidate à la présidence, précise la professeure. Il y aurait ce qu’on appelle une « convention ouverte », d’après M. Tourreille, c’est-à-dire qu’à la convention des démocrates, les délégués devraient s’entendre sur qui remplace M. Biden, et « rien ne garantit que ce soit Kamala Harris », même si elle est candidate à la vice-présidence.

Est-ce qu’un candidat s’est déjà désisté dans une campagne électorale américaine ? Ou ce serait une première ?

Marie Pépin

L’ancien président Lyndon Johnson s’était désisté durant sa campagne électorale en mars 1968, décidant finalement de ne pas solliciter un second mandat dans le contexte de la guerre du Viêtnam, rappellent les experts consultés. Cela avait donné lieu à une convention ouverte quelques mois plus tard. « Ça s’est produit en pleine saison des primaires », précise Mme Prémont.

Pourquoi les modérateurs ne sont-ils pas intervenus lorsque Trump ne répondait pas à la question qui lui était posée ? Ou lorsqu’il mentait ?

Jacques Deslauriers et plusieurs autres lecteurs

« [Les modérateurs] étaient dans une position difficile, parce que s’ils s’étaient mis à faire de la vérification de faits à chaque fois que Trump disait un mensonge, cela aurait été davantage un débat entre les modérateurs et Trump », juge Mme Prémont. La professeure est d’avis que cette décision a été prise par les modérateurs et la chaîne CNN pour éviter de se faire « traiter de pro-Biden » et pour assurer la fluidité du débat.

« [Les modérateurs et la chaîne CNN] avaient dit dès le départ qu’ils ne feraient pas de vérification des faits en direct », ajoute M. Tourreille. Quant aux réponses de Trump, le chercheur considère que « c’est le propre d’un débat ou d’une entrevue avec un politicien ».

Sait-on si les intentions de vote ont bougé à la suite de ce débat ?

Emma Boileau

Il est trop tôt pour savoir s’il y a eu des changements dans les intentions de vote à la suite du débat, d’après les experts consultés, mais des sondages devraient sortir dans les prochains jours.

« Pour l’instant, le seul indicateur qu’on a […], c’est la réaction aussitôt après le débat, des téléspectateurs sondés par CNN, explique M. Tourreille. Plus des deux tiers estiment que Donald Trump a gagné ce débat, donc on verra maintenant si cette opinion se traduit dans les intentions de vote. »

Pensez-vous que des démocrates ont pu demander ce débat sachant qu’il allait mal se passer, pour précipiter le départ de Joe Biden ?

Marie Pépin

D’après les deux experts consultés, il est très peu probable que ce soit le cas. M. Tourreille rappelle d’ailleurs que « c’est l’équipe de campagne de Joe Biden qui a voulu ce débat », et donc que ce serait « tiré par les cheveux » de l’avoir voulu pour ensuite se « saborder ».

Leur objectif semblait plutôt être « de demander un débat plus tôt dans la saison, avant même les conventions […], en se disant que si jamais ça ne se passe pas bien, ils auraient le temps de rattraper le tir, de se corriger », selon Mme Prémont, d’autant plus qu’ils pensaient peut-être pouvoir profiter de la condamnation de M. Trump dans son procès en lien avec l’affaire Stormy Daniels.

D’après M. Tourreille, un autre objectif des démocrates avec ce débat était de montrer que Biden était « capable de tenir tête à Donald Trump et de faire taire les craintes quant à son âge », mais il a échoué à ce « test ».