(New York) Le premier débat entre Joe Biden et Donald Trump, suivi en direct par 47,9 millions de téléspectateurs, a plongé le Parti démocrate dans une crise inédite.

Paniqués par la performance désastreuse du président, des stratèges, des donateurs et des élus, actuels ou anciens, expriment depuis jeudi soir, en public ou en privé, leurs doutes quant aux chances du candidat de leur parti de battre son rival républicain en novembre, ou leur espoir de le voir se retirer de la course à la Maison-Blanche.

En début de soirée vendredi, la page éditoriale du New York Times, le quotidien américain le plus influent, a ajouté sa voix à celle de ces démocrates en appelant à son tour Joe Biden à jeter l’éponge.

« M. Biden a été un président admirable. Sous sa direction, la nation a prospéré et commencé à relever une série de défis à long terme, et les plaies ouvertes par M. Trump ont commencé à se refermer. Mais le plus grand service public que M. Biden puisse maintenant rendre est d’annoncer qu’il ne se représentera pas à l’élection présidentielle », a soutenu le Times après avoir estimé que le président était apparu « comme l’ombre d’un grand serviteur de l’État » lors du débat organisé par CNN à Atlanta.

« La voie la plus claire pour les démocrates pour vaincre un candidat défini par ses mensonges est de traiter en toute vérité avec le public américain : reconnaître que M. Biden ne peut pas continuer sa course, et créer un processus pour sélectionner quelqu’un de plus capable de se tenir à sa place pour vaincre M. Trump en novembre », a ajouté le Times.

Qu’à cela ne tienne : plusieurs alliés de Joe Biden, dont Barack Obama, ont renouvelé leur confiance en lui, l’un d’entre eux allant même jusqu’à traiter de « vautours » les critiques démocrates du président.

Jamais, à ce stade-ci d’une course à la Maison-Blanche, un tel débat n’a éclaté au sein d’un des grands partis américains sur le bien-fondé de la candidature d’un président sortant.

Accompagné de sa femme Jill, Joe Biden a tenté de stopper la panique de son camp lors d’un rassemblement à Raleigh, en Caroline du Nord, où il a martelé son intention de « gagner en novembre ». S’exprimant d’une voix forte devant une foule partisane, il a tenu des propos incisifs qui tranchaient avec ses réponses hésitantes ou confuses de la veille. La présence de la foule – et de télésouffleurs – n’a pas dû lui nuire.

PHOTO MATT KELLEY, ASSOCIATED PRESS

« Je sais que je ne suis pas un jeune homme, c’est le moins que l’on puisse dire », a-t-il déclaré au lendemain de ce débat où il a renforcé les questions sur ses capacités mentales et physiques. « Je ne marche plus aussi facilement qu’avant. Je ne parle plus aussi aisément qu’avant. Je ne débats pas aussi bien qu’avant. Mais je sais ce que je sais : je sais dire la vérité. Je sais distinguer le bien du mal. Et je sais comment faire ce travail. Je sais comment faire avancer les choses. Et je sais, comme le savent des millions d’Américains, que lorsqu’on est abattu, on se relève. »

Je ne me représenterais pas si je ne croyais pas de tout mon cœur et de toute mon âme que je peux faire ce travail.

Le président Joe Biden

La foule a répondu en scandant une variation d’un slogan qui a marqué la première campagne présidentielle de Barack Obama, il y a déjà 16 ans : « Yes you can ! » (Oui, tu le peux !)

Mais les sceptiques ne manquent pas.

PHOTO MANDEL NGAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Partisans de Joe Biden à Raleigh, vendredi

Des appuis malgré tout

L’ancienne sénatrice démocrate du Missouri Claire McCaskill a exprimé le souhait que les membres de la garde rapprochée de Joe Biden aient une franche conversation avec lui « sur ses capacités de dégager de la force ». Faisant allusion aux confidences de sénateurs démocrates en exercice, elle a évoqué un climat de « crise » au sein de son parti.

« Mon travail consiste à être vraiment honnête », a-t-elle dit jeudi soir sur MSNBC, où elle collabore régulièrement. « [Joe Biden] avait une chose à accomplir. Et c’était de rassurer l’Amérique sur le fait qu’il était à la hauteur de la présidence à son âge. Et il a échoué ce soir. »

Dans le même temps, David Axelrod, ex-stratège de Barack Obama, a affirmé sur CNN qu’« il y aura des discussions » chez les démocrates sur l’opportunité de remplacer Joe Biden à l’occasion de la convention de leur parti à Chicago, fin août.

Mais son ancien patron n’y prendra pas part. Dans une publication sur X, Barack Obama a réitéré sa foi en Joe Biden.

« Les mauvaises soirées de débat, ça arrive », a écrit l’ancien président, qui avait également créé un malaise – pas aussi profond, cela dit – lors de son premier débat contre Mitt Romney en 2012.

Mais cette élection reste un choix entre quelqu’un qui s’est battu toute sa vie pour les gens ordinaires et quelqu’un qui ne se préoccupe que de lui-même. [...] La soirée d’hier [jeudi] n’a rien changé à cela.

L’ancien président démocrate Barack Obama, sur X

Hillary Clinton a également publié un message d’appui semblable sur X. Fidèle à lui-même, le sénateur démocrate de Pennsylvanie John Fetterman a ajouté un peu de furie à son soutien au président, exhortant les démocrates à « [se] calmer, putain » (chill the f**k out).

« Je refuse de me joindre aux vautours démocrates. Personne ne sait mieux que moi qu’un débat brutal n’est pas la somme totale de la personne et de son bilan », a déclaré le politicien, qui avait très mal paru en 2022 lors de son premier débat après avoir subi un AVC.

N’empêche : Joe Biden a également été lâché par deux de ses plus fidèles alliés médiatiques, en l’occurrence l’animateur de MSNBC Joe Scarborough et le chroniqueur du New York Times Thomas Friedman.

Tous les deux ont vanté le bilan de Joe Biden lors des quatre dernières années. Tous les deux ont conclu qu’il devait se retirer de la course.

« J’ai regardé le débat Biden-Trump seul dans une chambre d’hôtel à Lisbonne, et cela m’a fait pleurer », a écrit Thomas Friedman. « Je ne peux pas me souvenir d’un moment plus déchirant dans une campagne présidentielle américaine de mon vivant, précisément à cause de ce qu’il a révélé : Joe Biden, un homme bon et un bon président, n’a pas d’affaire à se représenter. »

Trump en remet

La contre-performance de Joe Biden aura éclipsé les innombrables mensonges proférés par Donald Trump sur presque tous les sujets abordés durant le débat. Il n’est pas dit que les électeurs indécis lui pardonneront ses fautes.

Mais la chance de l’ancien président s’est poursuivie vendredi matin lorsque la Cour suprême des États-Unis a donné raison à un émeutier du 6-Janvier dans une affaire qui pourrait aider sa propre cause à Washington, où il a été inculpé de complot postélectoral.

« Une victoire massive pour les prisonniers politiques du 6-Janvier », a-t-il écrit sur Truth Social en référence aux personnes condamnées en lien avec l’assaut contre le Capitole des États-Unis.

Il s’est plus tard moqué de la performance de Joe Biden lors du débat.

« Il a obtenu les règles qu’il voulait, la date qu’il voulait, le réseau qu’il voulait, avec les modérateurs qu’il voulait. Aucun repos ou trucage n’a pu l’aider », a-t-il déclaré en s’adressant à une foule partisane réunie à Chesapeake, en Virginie.