(New York) Le pari était risqué. En proposant à son rival un débat précoce, Joe Biden souhaitait changer la trajectoire de la course à la Maison-Blanche et convaincre les électeurs qu’il n’était pas trop vieux pour solliciter un deuxième mandat.

Or, dans un débat de 90 minutes qui a dégénéré en attaques personnelles, le président démocrate a perdu ce pari jeudi à Atlanta. S’exprimant d’une voix rauque, éteinte et parfois hésitante, il a commis une gaffe sur un thème clé de sa campagne dès les premières minutes de l’affrontement et échoué en grande partie à placer les électeurs au cœur de ses interventions le reste du temps.

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Le candidat républicain et ex-président Donald Trump et le président des États-Unis Joe Biden

Avant même la fin du débat, plusieurs démocrates et sympathisants de Joe Biden se demandaient si le président pouvait poursuivre sa campagne. Certains l’ont même appelé à quitter la course.

« J’aimerais que Biden réfléchisse à sa performance lors du débat et qu’il annonce sa décision de se retirer, laissant le choix du candidat démocrate à la convention [démocrate] », a écrit sur X le chroniqueur du New York Times Nicholas Kristof. « Quelqu’un comme Gretchen Whitmer, Sherrod Brown ou Gina Raimondo pourrait encore se lancer et battre Trump », a-t-il ajouté en faisant allusion à la gouverneure du Michigan, au sénateur de l’Ohio et à la secrétaire au Commerce.

Au milieu du débat organisé par CNN et diffusé par tous les grands réseaux américains, le camp Biden a laissé savoir que le président souffrait d’un rhume. À la fin de l’affrontement, CNN a fait état d’une « panique agressive » au sein du camp démocrate.

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Le président des États-Unis, Joe Biden

« Il est difficile d’affirmer que Biden devrait être notre candidat », a déclaré une source démocrate sous le couvert de l’anonymat.

Le principal intéressé ne partageait toutefois pas cette évaluation. Lors d’un arrêt dans un restaurant de Géorgie, après le débat, le président Biden a dit penser s’être « bien sorti » de son duel avec Trump.

La première gaffe du président est intervenue à la 13minute alors qu’il décrivait ses projets pour continuer à protéger et renforcer le filet social. Après avoir énuméré un certain nombre de mesures, il a figé, incapable de retrouver le fil de sa pensée.

Puis il a ajouté, en faisant référence au programme d’assurance maladie pour les personnes âgées, admiré par les démocrates et menacé par les républicains : « Nous avons finalement vaincu Medicare. »

La réplique de Donald Trump a fusé : « Il a battu Medicare. Il l’a battu à mort et il est en train de le détruire. »

Joe Biden a également gaffé en défendant son bilan économique. Il s’est félicité d’avoir contribué à la création de « 15 000 emplois » plutôt que « 15 millions d’emplois ».

La division de l’écran n’a pas non plus aidé Joe Biden. Lorsque Donald Trump s’exprimait, le président avait la bouche entrouverte et le regard parfois hagard.

En répondant aux questions des modérateurs Dana Bash et Jake Tapper ou en les esquivant, l’ancien président a multiplié les mensonges et les exagérations tout au long du débat. Néanmoins, il a offert une performance plus énergique et attaqué sans répit son rival sur ses plus grandes vulnérabilités, soit l’économie et l’immigration.

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Les journalistes Dana Bash et Jake Tapper, les modérateurs du débat.

Après s’être vanté erronément d’avoir créé « la meilleure économie de l’histoire du pays », il a notamment accusé Joe Biden d’avoir contribué à la mort d’Américains en raison de sa gestion de la frontière sud.

À un autre moment, il a déclaré, en s’adressant à son rival : « Avez-vous licencié quelqu’un qui se trouve à la frontière ? Quelqu’un a-t-il été licencié pour avoir permis à 18 millions de personnes de sortir de prison, dont un grand nombre d’institutions psychiatriques ? Avez-vous licencié quelqu’un qui a permis la destruction de notre pays ? Joe, notre pays est en train d’être détruit. »

« Ce que j’ai fait, depuis que j’ai modifié la loi, que s’est-il passé ? », a répliqué le président de façon confuse. « Je l’ai modifiée de telle sorte qu’aujourd’hui, il y a 40 % de personnes en moins qui franchissent illégalement la frontière. La situation est meilleure que lorsqu’il a quitté ses fonctions. »

Les modérateurs n’ont fait aucun effort pour rétablir les faits au cours du débat, situation qui a fini par avantager Donald Trump. Ce dernier a notamment déclaré faussement que tous les juristes des États-Unis et du monde étaient en faveur de l’abrogation de l’annulation de l’arrêt Roe c. Wade sur l’avortement.

Joe Biden a tenté de rappeler que la nomination de trois juges conservateurs à la Cour suprême par Donald Trump avait mené à l’abrogation du droit constitutionnel à l’avortement.

« Ce que vous avez fait est terrible », a-t-il déclaré.

Les modérateurs n’ont pas davantage insisté pour que Donald Trump réponde à leurs questions sur sa responsabilité dans l’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole.

« J’ai proposé 10 000 soldats de la garde nationale et ils ont refusé », a déclaré l’ancien président en imputant ce refus à l’ancienne présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi et à la mairesse de Washington.

Laissant percer sa frustration, Joe Biden a attaqué Donald Trump sur les déclarations que son ancien chef de cabinet John Kelly lui a prêtées concernant les soldats morts au combat. Des « perdants » et des « nuls », selon ce que l’ancien président aurait confié à son entourage.

« Mon fils n’était pas un nul ou un perdant. C’est vous le nul. Vous êtes le perdant », a déclaré le président sur un ton empreint de colère.

Donald Trump a nié avoir dénigré les soldats morts au combat.

Poursuivant ses attaques personnelles, Joe Biden a également qualifié Donald Trump de « criminel condamné », allusion à sa condamnation par un jury new-yorkais, et rappelé qu’il avait été déclaré responsable d’agression sexuelle et qu’il avait couché avec une « star de la porno ».

« Je n’ai pas couché avec une star de la porno », a répliqué Donald Trump, prononçant des mots jamais entendus durant un débat présidentiel.

L’environnement, la guerre en Ukraine et celle dans la bande de Gaza ont également été abordés au cours du débat.

Jamais un débat entre les candidats présidentiels des deux grands partis américains n’avait été tenu si tôt dans le calendrier électoral. Donald  Trump, qui avait mis son successeur au défi de l’affronter « n’importe où, n’importe quand », a rapidement accepté ce rendez-vous précoce proposé par Joe Biden – ainsi que les règles dont son camp s’est plus tard plaint.

Il s’agissait du premier débat présidentiel sans un auditoire depuis le tout premier entre Richard Nixon et John Kennedy en 1960. Autre règle qui a joué sur le ton de l’affrontement : les micros des candidats ont été mis en sourdine lorsque leur rival avait la parole.

Cette règle a peut-être fini par avantager Donald Trump, qui a paru plus discipliné et calme que lors du premier débat présidentiel de 2020.

Avec l’Agence France-Presse

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