Toute l’année, Richard Hétu et Yves Boisvert nous informent sur les élections américaines dans une infolettre envoyée le mardi. Leurs textes sont ensuite repris dans La Presse+ le mercredi.

(New York) En politique québécoise, l’expression « belle-mère » a mal vieilli, mais elle a longtemps servi à identifier un ex-premier ministre qui plonge son ancien parti dans l’embarras par des critiques ou des propos polémiques.

Aux États-Unis, aucun ancien président n’a vraiment mérité ce qualificatif ou celui, similaire, de « gérant d’estrade ». En 2021, George W. Bush a certes déploré ce que le Parti républicain était devenu à l’ère de Donald Trump et de la désinformation. Un parti « isolationniste, protectionniste et, jusqu’à un certain point, nativiste ».

Mais ses propos ont eu très peu d’effets sur les républicains.

Barack Obama, lui, a reproché en 2019 aux jeunes leur tendance à céder aux excès de la « culture de la dénonciation » et du « wokisme ». Mais depuis son départ de la Maison-Blanche, il a réservé ses critiques les plus pointues à Donald Trump et aux républicains. Idem pour Bill Clinton.

On ne peut pas en dire autant de David Axelrod et James Carville, deux anciens stratèges démocrates, auxquels le terme « belle-mère » va comme un gant.

L’un est devenu célèbre en servant Barack Obama, l’autre en conseillant Bill Clinton. Si Joe Biden perd, ils pourront dire : « Nous vous l’avions dit. » S’il gagne, ils auront prouvé que… N’allons pas plus loin.

En fait, pour Joe Biden, David Axelrod est bien pire qu’une « belle-mère ». C’est un « con » (selon le journaliste Jonathan Martin du site Politico, le président a utilisé le mot prick en anglais pour dénigrer l’ex-stratège).

Axelrod a reçu cette insulte en novembre dernier. Il avait alors osé déclarer publiquement que le président démocrate devait se demander sérieusement si l’idée de solliciter un deuxième mandat était la bonne. Il ne s’inquiétait pas seulement de son âge, mais aussi des sondages qui le plaçaient derrière Donald Trump dans les États-clés et de ses limites en tant que communicateur.

PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

David Axelrod

Malgré l’insulte, David Axelrod continue de critiquer la campagne de Joe Biden. Et il ne manque pas de tribunes pour le faire. En plus de son rôle de commentateur assidu sur CNN, il anime ou coanime deux balados populaires et multiplie les entrevues. Une de ses cibles préférées est Mike Donilon, membre du triumvirat de conseillers qui entoure Joe Biden depuis des décennies (et qui l’isole, de l’avis de certains).

Préoccupations quotidiennes

Selon David Axelrod, Mike Donilon fait fausse route en estimant que les inquiétudes des électeurs concernant la survie de la démocratie américaine auront une importance déterminante dans l’issue de l’élection présidentielle de 2024.

« Je pense que les personnes qui sont assises autour de leur table de cuisine pour parler de ce sujet sont des personnes qui ne se préoccupent pas de ce qu’elles ont payé pour les aliments qui se trouvent sur la table de cuisine », a déclaré l’ex-stratège sur CNN en avril dernier.

« Si vous vivez avec les préoccupations liées à l’inflation et aux préoccupations quotidiennes de la vie, alors vous ne parlez probablement pas de ce sujet. »

Il a depuis lié la désaffection d’un certain nombre d’électeurs noirs et latinos pour Joe Biden aux difficultés de ce dernier à comprendre la réalité à laquelle doivent faire face les Américains moins fortunés.

Quand une personnalité de NBC lui a demandé, le lundi de Pâques, ce qu’il dirait aux Américains qui s’inquiètent de leur situation économique, le président a répondu : « Je leur dirais que nous avons l’économie la plus forte du monde. »

Il a offert une réponse semblable en mai dernier à une question sur l’insatisfaction des Américains concernant sa gestion de l’économie. La critique de David Axelrod n’a pas tardé.

« Je pense qu’il commet une terrible erreur. S’il ne gagne pas cette course, ce n’est peut-être pas Donald Trump qui le battra, mais sa propre fierté », a dit l’ancien stratège sur CNN.

L’opinion du « con » n’est peut-être pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Dans ses messages récents, Joe Biden s’est montré plus prompt à reconnaître que des Américains en arrachent encore à cause de la hausse du coût de la vie. Mais est-il trop tard ?

Trop « vieux », selon Carville

Pour autant qu’on sache, James Carville n’a pas encore hérité d’une épithète insultante en provenance du bureau Ovale. Mais il n’est pas moins sévère dans ses critiques de Joe Biden que David Axelrod.

« J’ai pensé que le président Biden aurait dû envisager de ne pas se présenter, mais ce n’est pas le choix qu’il a fait », a déploré l’ancien stratège sur la chaîne radiophonique de New York WABC, il y a deux semaines.

PHOTO LILY BROOKS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

James Carville

Carville craint que le président octogénaire ne soit pas en mesure de mobiliser les jeunes, électorat clé dans les victoires démocrates aux élections présidentielles des trois dernières décennies. Ce n’est pas sa seule crainte concernant Joe Biden, mais elle est importante.

« Si vous organisez un groupe de discussion, la première chose qui sort de la bouche de tout le monde est “vieux”, alors comment pouvez-vous dire que nous allons faire comme si cela n’existait pas ? », a-t-il demandé lors d’une entrevue accordée à la chroniqueuse du New York Times Maureen Dowd en mars dernier.

Le mot « vieux » peut également s’appliquer à Donald Trump. Mais où sont les républicains qui sont à la fois prêts à critiquer durement le candidat présidentiel de leur parti et, comme David Axelrod et James Carville, à voter quand même pour lui ?