(New York) On connaît déjà l’« évaluation cognitive de Montréal », celle que Donald Trump a affirmé avoir passée avec une note parfaite de 30 sur 30, le 12 janvier 2018.

Le 27 juin 2024, on aura droit au test cognitif d’Atlanta, ville où CNN tiendra le premier débat présidentiel entre ce même Donald Trump et Joe Biden.

Certes, cet affrontement inédit – il interviendra avant même les conventions des deux grands partis américains – doit permettre aux candidats de débattre de leurs positions respectives sur les grands enjeux.

Mais des dizaines de millions de téléspectateurs le regarderont aussi – ou surtout – pour déterminer si l’un ou l’autre des candidats est vraiment au bord de la sénilité, comme le prétend le camp adverse. Cela tient évidemment à leur âge respectif, mais aussi à leur comportement.

Or, pour certaines raisons bien connues, ce test s’annonce plus périlleux pour Joe Biden que pour Donald Trump.

« Je pense que Biden a plus à perdre parce que le camp Trump a été si efficace dans sa tentative de le dépeindre comme un homme affaibli ou au stade précoce de la démence », affirme Susan Drucker, professeure de journalisme et spécialiste des débats présidentiels à l’Université Hofstra de Long Island, site du premier duel télévisé entre les deux mêmes candidats en 2020.

« Mais je pense que les deux candidats sont susceptibles de commettre des erreurs », ajoute-t-elle.

Donald Trump le prouve régulièrement. Il a notamment confondu Joe Biden avec Barack Obama et Nikki Haley avec Nancy Pelosi. Et il a donné au DRonny Jackson, celui-là même qui lui a fait passer l’évaluation cognitive de Montréal, le nom de « Ronny Johnson ». Tout ça en se moquant de la santé mentale de son adversaire.

L’équipe de campagne de Joe Biden ne rate jamais une occasion de relayer sur les réseaux sociaux ces erreurs, qu’elle attribue au déclin des facultés cognitives du candidat républicain. Ces derniers jours, elle a ajouté à ce barrage les discours décousus de Donald Trump sur divers sujets, dont les requins, les batteries et « le regretté Hannibal Lecter », tueur en série qui déguste ses victimes dans le film Le silence des agneaux.

La question de l’image

Mais le camp républicain peut ajouter aux erreurs du président démocrate des images qui renforcent son message. Des images qui montrent la démarche de plus en plus raide de Joe Biden, ses chutes et son air parfois perdu. Des images qui sont souvent modifiées ou tronquées pour créer de fausses impressions et qui sont relayées comme telles par les médias conservateurs, y compris Fox News et le New York Post, au grand dam de la Maison-Blanche.

Reste un fait indéniable : l’électorat s’inquiète davantage de l’âge de Joe Biden que de celui de Donald Trump. En février dernier, 86 % des Américains estimaient que le président était trop vieux pour occuper la présidence, contre 62 % qui pensaient la même chose au sujet de son prédécesseur, selon un sondage ABC News/Ipsos.

Un mois plus tard, Joe Biden a réussi à rassurer de nombreux démocrates et certains indépendants en fournissant une performance énergique et combative lors du discours sur l’état de l’Union.

PHOTO MATT MCCLAIN, ARCHIVES THE WASHINGTON POST

Le président Joe Biden, lors du discours sur l’état de l’Union du 7 mars dernier

Mais des doutes persistent ou reviennent. D’où la question : un débat présidentiel peut-il permettre une évaluation utile des capacités cognitives du premier président octogénaire ?

« Oui », répond le gériatre québécois David Lussier. « Un débat peut être une bonne façon d’évaluer les fonctions cognitives, plus que le discours sur l’état de l’Union, par exemple, où le texte est lu. Le débat exige une souplesse cognitive, une bonne capacité de raisonnement et une bonne mémoire pour se souvenir des faits et les rapporter adéquatement. Cela dit, Trump échouera certainement à tous ces critères, mais on ne sait jamais si cela tient du cognitif ou de la personnalité. »

Le DLussier met le doigt sur un des avantages de Donald Trump.

Le fait qu’il fasse des erreurs de fait ou qu’il réponde à côté de la question, qui serait significatif et nous inquiéterait pour quelqu’un d’autre, est habituel chez lui.

Le Dr David Lussier, gériatre

Cet avantage s’étend aux déclarations les plus mensongères ou outrancières de Donald Trump. Exemple récent parmi d’autres : lors d’un rassemblement au Wisconsin, l’ancien président a insinué qu’une bonne performance de Joe Biden au débat de jeudi serait attribuable à sa consommation de cocaïne.

Ses partisans ont ri. Les médias ont haussé les épaules.

Format du débat

Donald Trump adoptera peut-être un ton plus présidentiel à l’occasion de cet affrontement dont les règles le priveront de la présence d’un auditoire et de la possibilité d’interrompre bruyamment son rival. « Les microphones seront mis en sourdine pendant toute la durée du débat, sauf pour le candidat dont c’est le tour de parler », a déclaré CNN en annonçant les règles.

Mais ces détails sont secondaires.

« Je pense que le public ne se préoccupera pas tant des règles que de la question de l’âge », dit Susan Drucker, la spécialiste de l’Université Hofstra. « Et je pense que ce qui comptera, ce sera moins ce qui est dit que la façon dont cela est dit et l’apparence que cela donne. »

En réussissant à imposer un débat fin juin, Joe Biden et son entourage se sont assurés d’avoir plusieurs mois pour faire oublier une contre-performance. Ils pourraient alors tenter de rappeler que le président a toujours été gaffeur de classe internationale.

« Mais dans le contexte actuel où il est décrit comme étant vieillissant, affaibli et inapte à la présidence, il se trouve dans une position particulièrement précaire », estime Susan Drucker.

La préparation des candidats au premier débat télévisé

Donald Trump

PHOTO JIM WATSON, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ancien président Donald Trump, samedi

Donald Trump rejette ce type de préparation, se contentant de rencontrer des experts ou des élus, dont les sénateurs J. D. Vance et Marco Rubio, deux colistiers potentiels, pour aborder avec eux diverses politiques. « Il n’a pas besoin d’être programmé par des collaborateurs ou d’être dopé par des produits chimiques comme Joe Biden », a déclaré Jason Miller, un de ses conseillers, au site Politico en reprenant à son compte une accusation infondée concernant le président.

Joe Biden

PHOTO SUSAN WALSH, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le président Joe Biden, jeudi dernier

Le président s’est isolé avec plusieurs collaborateurs à Camp David, lors desquels il participe à de faux débats où son avocat personnel, Bob Bauer, tient le rôle de l’ancien président, comme il l’a fait en 2020. Dans ses mémoires publiés la semaine dernière, l’avocat de 72 ans rappelle que son rôle avait été d’être « aussi insultant et disjoncté que Trump puisse l’être ».