(New York) Un criminel condamné. D’ici au 5 novembre, date de l’élection présidentielle de 2024, et peut-être jusqu’à la fin de ses jours, Donald Trump, parfois surnommé « Teflon Don », devra porter ce titre à la suite du verdict historique rendu jeudi par les jurés de son procès à New York.

Après moins de 12 heures de délibérations étalées sur deux jours, le jury composé de sept hommes et cinq femmes a déclaré l’ancien président coupable des 34 chefs d’accusation de falsification de documents commerciaux retenus contre lui, en lien avec le paiement de 130 000 $ à l’actrice de films pornographiques Stormy Daniels avant l’élection présidentielle de 2016.

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Donald Trump est ainsi devenu le premier ancien président à être jugé puis condamné par un jury de ses pairs à l’issue d’un procès pénal.

À moins d’un changement inattendu, il sera aussi le premier candidat de l’un des deux grands partis américains à briguer la Maison-Blanche tout en étant un criminel reconnu, condition qui ne le rend pas pour autant inéligible à la plus haute fonction des États-Unis.

Le juge chargé du procès, Juan Merchan, a fixé au 11 juillet le prononcé de la peine. Donald Trump est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de quatre ans, mais il pourrait s’en tirer avec une probation.

Trump se dit « prisonnier politique »

Au bout d’un procès extraordinaire de sept semaines où il a été question de sexe sans condom et de la position du missionnaire, Donald Trump a encaissé le verdict du jury de façon stoïque à la table de l’accusé. Cependant, après avoir serré la main de son fils Eric, seul membre de sa famille présent, il semblait sonné en quittant la salle d’audience, selon des témoins de la scène. À l’extérieur de la salle, il a laissé libre cours à sa colère.

« C’est une honte », a-t-il tonné devant les journalistes, flanqué de son avocat principal, Todd Blanche, dont la performance a fait l’objet de critiques.

Il s’agit d’un procès truqué par un juge en conflit d’intérêts qui était corrompu. C’est un procès truqué, une honte.

Donald Trump, après le verdict

« Le véritable verdict sera rendu le 5 novembre par le peuple, qui sait ce qui s’est passé ici », a-t-il ajouté après s’être plaint du fait que le procès s’était déroulé dans un district où ses appuis ne dépassent pas « 5 % ou 6 % ».

Dans un courriel envoyé à ses partisans pour solliciter des dons, il s’est par ailleurs qualifié de « prisonnier politique ».

Il en aura plus long à dire ce vendredi à la Trump Tower, où il doit tenir une conférence de presse à 11 h. Il abordera sans doute alors la question d’un appel inévitable du verdict.

PHOTO JUSTIN LANE, REUTERS

Doanld Trump

Verdict qui tombe moins d’un mois avant le premier débat présidentiel entre Donald Trump et Joe Biden, prévu le 27 juin. En attendant, le président s’est gardé de le commenter.

« Nous respectons l’état de droit et nous n’avons pas d’autres commentaires à faire », a déclaré Ian Sams, porte-parole du bureau du conseiller juridique de la Maison-Blanche.

« Sans crainte ni faveur »

Le procès de New York découlait de la première de quatre affaires criminelles visant Donald Trump. Selon plusieurs experts, il s’agissait de la moins sérieuse ou de la moins gagnable des quatre, les autres portant sur les efforts de l’ancien président pour invalider les résultats de l’élection présidentielle de 2020 ou pour conserver des documents classifiés après son départ de la Maison-Blanche en janvier 2021.

Or, l’équipe de procureurs mise en place par le procureur de Manhattan Alvin Bragg a réussi à convaincre les jurés que Donald Trump avait falsifié ou fait falsifier des documents commerciaux afin de faire passer pour des frais juridiques le remboursement à son avocat personnel, Michael Cohen, du paiement à Stormy Daniels.

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Le procureur de Manhattan Alvin Bragg

Selon les procureurs de New York, ce stratagème s’inscrivait dans un complot visant à acheter le silence de personnes susceptibles de nuire à Donald Trump avant l’élection présidentielle de 2016.

Le verdict représente une victoire majeure pour Alvin Bragg, férocement critiqué par Donald Trump depuis son inculpation, le 4 avril 2023. Le procureur de Manhattan a réagi avec sobriété.

« Même si cet accusé ne ressemble à aucun autre dans l’histoire des États-Unis, nous sommes parvenus à ce procès, et finalement aujourd’hui à ce verdict, de la même manière que pour toutes les autres affaires qui franchissent les portes du tribunal : en suivant les faits et la loi, et en le faisant sans crainte ni faveur », a-t-il dit aux journalistes.

J’ai fait mon travail. Notre travail consiste à suivre les faits et la loi sans crainte ni favoritisme. Et c’est exactement ce que nous avons fait.

Alvin Bragg, procureur de Manhattan

Le verdict constitue aussi une douce revanche pour Michael Cohen, témoin vedette de la poursuite, qui a purgé une peine d’emprisonnement pour le même paiement qui était au cœur du procès de son ancien patron.

« Bien que cela ait été un parcours difficile pour moi et ma famille, la vérité compte toujours », a écrit sur X celui qui a été traité de « plus grand menteur de tous les temps » lors de la plaidoirie finale de Todd Blanche.

Réactions inégales

Dans un parc situé en face du tribunal, les partisans de Donald Trump, peu nombreux, ont réagi avec colère et stupéfaction au verdict des jurés new-yorkais.

« Non ! Non ! », s’est écrié Jake Beal, un Californien de 67 ans, en enfouissant son visage dans une affiche sur laquelle il avait écrit « Libérez mère Teresa », sainte à laquelle Donald Trump s’était comparé plus tôt cette semaine.

« Honte à vous, Lady Justice », a-t-il enchaîné en brandissant un poing en direction du tribunal.

Lady Justice n’est pas seulement aveugle, elle est aussi stupide. Ça me rend malade.

Jake Beal, partisan de Donald Trump

Au même moment, dans une autre partie du parc, des critiques de l’ancien président se sont mis à scander sur un ton joyeux : « Coupable ! Coupable ! »

« C’est un soulagement », a déclaré Nadine Styler, présente dans le parc depuis le tout début du procès de Donald Trump. « Nous avons assisté pendant trop longtemps à la manipulation de la justice par Donald Trump et d’autres gens puissants. C’est rassurant de constater qu’il y a des limites à ce jeu. »

Pour autant, rares étaient les contempteurs de Donald Trump qui voyaient dans le verdict un tournant dans la campagne présidentielle.

« Le pays est tellement divisé », a dit Daniel Mitnik. « Les partisans de Trump vont dire que le verdict est la conséquence d’un système de justice truqué. Ils ne l’abandonneront pas. »

Chez les partisans de Donald Trump, plusieurs ont prédit que le verdict allait en fait aider le candidat républicain à la présidence.

« Cela le renforcera, c’est tout. Vous verrez les résultats dans les sondages », a déclaré une New-Yorkaise qui n’a pas voulu donner son nom. « Après cela, nous aurons l’élection et tout cela sera derrière nous. »

Qui est Stormy Daniels ?

PHOTO MIKE BLAKE, ARCHIVES REUTERS

Stormy Daniels en 2018

  • Stormy Daniels, de son vrai nom Stephanie Clifford, est née le 17 mars 1979 à Baton Rouge, en Louisiane.
  • Vedette de films pornographiques parmi les plus connues des années 2000, Stormy Daniels a aussi fait quelques apparitions au grand écran, notamment dans la comédie Grossesse surprise (Knocked Up), avec Seth Rogen.
  • L’actrice a rencontré Donald Trump en juillet 2006, lors d’un tournoi de golf pour célébrités, en Utah, alors que l’homme d’affaires était déjà marié à Melania Trump.
  • Donald Trump a invité Stormy Daniels à souper dans sa suite. Dans son témoignage devant la cour, l’actrice a affirmé qu’elle ne voulait pas accepter l’invitation, mais que sa publiciste l’a encouragée à y aller.
  • Stormy Daniels a raconté être allée aux toilettes et avoir trouvé Donald Trump étendu sur le lit en caleçon et en t-shirt, à son retour. Ils ont alors eu une relation sexuelle consensuelle, a-t-elle témoigné, en ajoutant que l’évènement l’a laissée désorientée.
  • En 2016, en marge de la campagne électorale, l’avocat de Donald Trump, Michael Cohen, a remis 130 000 $ à Stormy Daniels pour acheter son silence à propos de sa relation sexuelle avec l’homme d’affaires.
  • Stormy Daniels a témoigné qu’elle avait accepté l’argent par inquiétude pour la sécurité de sa famille. L’actrice a affirmé qu’elle avait reçu des menaces de poursuite et des menaces physiques.

Fannie Arcand, La Presse, avec Politico et la BBC