(New York) Victime innocente d’une extorsion commise par une actrice de films pornographiques et son avocat ou candidat présidentiel impliqué dans un complot criminel qui a peut-être joué un rôle dans le résultat de l’élection présidentielle de 2016 ?

Les deux parties au procès de Donald Trump à New York ont présenté mardi aux jurés ces visions opposées du prévenu, de nouveau candidat à la présidence en 2024, lors de leurs plaidoiries finales, qui ont duré huit longues heures.

Elles ont aussi consacré de longs moments à attaquer ou réhabiliter la crédibilité de Michael Cohen, témoin vedette de la poursuite, qui a incriminé Donald Trump pour son rôle présumé dans la falsification des documents commerciaux au cœur du procès. Selon la poursuite, cette falsification visait à faire passer pour des frais juridiques le remboursement d’un paiement de 130 000 $ à Stormy Daniels en échange de son silence avant le scrutin de 2016 sur la relation sexuelle qu’elle affirme avoir eue avec Donald Trump en 2006.

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Le procureur Joshua Steinglass s’adressant au jury mardi

« L’accusé n’a pas réellement payé un avocat, il a payé une star du porno en faisant transiter de l’argent par un avocat », a déclaré le procureur de New York Joshua Steinglass au cours d’une plaidoirie de cinq heures qui a pris fin en soirée.

« Bien sûr, nous ne saurons jamais si cet effort pour tromper l’électeur américain a eu un impact sur l’élection, mais ce n’est pas quelque chose que nous devons prouver », a-t-il ajouté.

Composé de sept hommes et cinq femmes, dont deux avocats, le jury commencera ses délibérations mercredi après avoir reçu les instructions du juge Juan Merchan. S’il est reconnu coupable des 34 chefs d’accusation retenus contre lui, le prévenu sera passible d’une peine d’emprisonnement maximale de quatre ans.

Trois des enfants de Donald Trump – Donald Jr., Eric et Tiffany –, de même que Lara, sa belle-fille, mariée à Eric, ont assisté à ces plaidoiries qui pourraient avoir un impact majeur sur sa vie personnelle et sa carrière politique.

Cohen « vous a menti »

Pour éviter un verdict de culpabilité, Todd Blanche, avocat principal de Donald Trump, a multiplié les efforts pour semer un doute raisonnable chez les jurés au cours d’une plaidoirie de près de trois heures. Il les a notamment priés de n’accorder aucun crédit au témoignage de Michael Cohen.

« Il vous a menti à plusieurs reprises. Il a menti de très nombreuses fois avant même que vous ne le rencontriez. Il est partial et motivé à vous raconter une histoire qui n’est pas vraie. Il est littéralement le plus grand menteur de tous les temps », a-t-il déclaré.

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Todd Blanche et Donald Trump échangent quelques mots pendant le procès de l’ancien président, mardi.

« Vous ne pouvez pas envoyer quelqu’un en prison, vous ne pouvez pas condamner quelqu’un sur la base des propos de Michael Cohen », a-t-il dit en appelant les jurés à prononcer un verdict d’acquittement « très rapide et facile ».

En l’absence des jurés, le juge Merchan a qualifié de scandaleuse et de hautement déplacée l’allusion de Todd Blanche à une peine de prison. Au retour des jurés, il a expliqué que la responsabilité d’infliger une peine à une personne condamnée incombait au juge et non aux jurés.

Todd Blanche a attaqué plusieurs aspects de la preuve présentée par la poursuite. Il a répété que Donald Trump niait avoir eu une relation sexuelle avec Stormy Daniels. Selon ses dires, cette dernière a tout simplement profité des circonstances pour se livrer à de l’extorsion aux dépens de son client.

« Ce qui s’est réellement passé ici, c’est qu’il y avait un groupe de personnes qui voulaient profiter d’une situation et finalement extorquer de l’argent au président Trump, a-t-il déclaré. Des gens comme Mme Daniels et [son avocat] M. Davidson. »

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Michael Cohen

Il a qualifié d’« absurde » l’idée que Donald Trump ait été au courant d’un plan conçu par l’ancien directeur financier de son entreprise, Allen Weisselberg, pour rembourser les 130 000 $ versés par Michel Cohen à Stormy Daniels 11 jours avant le scrutin de 2016. Selon Michael Cohen, Donald Trump a approuvé ce plan en janvier 2017.

Après avoir nié l’existence de « la moindre preuve » de la responsabilité de Donald Trump dans la falsification des documents commerciaux, Todd Blanche a demandé aux jurés d’ignorer le rôle présumé de son client dans le complot impliquant Michael Cohen et le patron du National Enquirer, David Pecker. Selon la poursuite, ce complot visait notamment à acheter et à enterrer les histoires susceptibles de nuire au candidat républicain avant l’élection présidentielle de 2016.

Le fait qu’il y ait eu un complot pour essayer de gagner une élection n’a pas d’importance. Chaque campagne dans ce pays est un complot pour promouvoir un candidat.

Todd Blanche, avocat principal de Donald Trump

Todd Blanche a terminé sa plaidoirie en donnant aux jurés une liste de 10 raisons d’acquitter Donald Trump. Raison numéro 10 : « Cohen est l’incarnation du doute raisonnable. »

Chèques signés par Trump

Durant la première heure de sa plaidoirie, Joshua Steinglass a défendu son témoin vedette en expliquant aux jurés que Todd Blanche l’avait condamné « pour les mêmes qualités » qui ont poussé Donald Trump à recourir à ses services.

« Nous n’avons pas choisi Michael Cohen comme témoin. Nous ne sommes pas allés le chercher au magasin des témoins. L’accusé a choisi Michael Cohen comme entremetteur parce qu’il était prêt à mentir et à tricher en son nom », a-t-il dit.

Le procureur de New York a également réfuté l’idée selon laquelle Stormy Daniels aurait tenté d’extorquer de l’argent à Donald Trump. Il a fait valoir que les négociations pour la vente de l’histoire de la star du porno s’étaient déroulées avec un représentant du groupe American Media, Inc. (AMI), société mère du National Enquirer, et non avec Michael Cohen ou Donald Trump.

« Ne vous y trompez pas, AMI est impliquée dans cette affaire. AMI agit comme les yeux et les oreilles de la campagne, tout comme [David] Pecker a dit à M. Trump qu’il le ferait », a déclaré Joshua Steinglass.

Le procureur faisait allusion à cette rencontre d’août 2015 entre David Pecker, Michael Cohen et Donald Trump à la Trump Tower, où les trois ont ourdi ce complot qui a mené aux paiements de trois personnes avant l’élection présidentielle de 2016 – Dino Sajudin, ancien portier de la Trump Tower, Karen McDougal, playmate du magazine Playboy, et Stormy Daniels.

Le procureur a consacré une bonne partie de sa plaidoirie à la falsification des documents commerciaux au cœur du procès. Il s’agit de 11 chèques, 11 fausses factures et 12 fausses écritures comptables.

Joshua Steinglass a rejeté l’argument présenté par l’avocat de Donald Trump selon lequel ce dernier était trop occupé pour être au courant des raisons précises pour lesquelles il a signé neuf de ces chèques.

Pour étayer son propre argument, il a cité ce passage d’un des livres de Donald Trump : « Lorsque vous signez vous-même un chèque, vous voyez ce qui se passe réellement dans votre entreprise, et si les gens voient votre signature au bas du chèque, ils savent que vous les surveillez, et ils vous arnaquent moins parce qu’ils ont la preuve que vous vous souciez des détails. »

Joshua Steinglass a par ailleurs qualifié de « dévastateur » le témoignage de Hope Hicks, ancienne attachée de presse de Donald Trump, qui a versé des larmes à la barre après avoir raconté ce que lui avait dit l’ancien président après la publication d’un article du Wall Street Journal le 12 janvier 2018 sur le paiement de Stormy Daniels.

« Je pense que l’opinion de M. Trump était qu’il valait mieux gérer ça maintenant, et qu’il aurait été mauvais que cette histoire sorte avant l’élection », a déclaré Hope Hicks.

La falsification de documents commerciaux est une infraction mineure qui peut devenir un crime si elle sert à cacher un autre crime, en l’occurrence la violation d’une loi électorale de New York, d’une loi fédérale sur le financement électoral ou d’une loi fiscale.

« Le nom du jeu était la dissimulation, et tous les chemins mènent inéluctablement à l’homme qui en a le plus profité, l’accusé, l’ancien président Donald J. Trump », a déclaré Joshua Steinglass à la fin de sa plaidoirie.