(New York) Il suffit de taper le nom d’Allen Weisselberg dans le moteur de recherche du service correctionnel de la Ville de New York pour le repérer dans le vaste et redoutable complexe pénitentiaire de Rikers Island.

L’ancien directeur financier de la Trump Organization est incarcéré dans la West Facility, prison réservée aux personnes condamnées à des peines inférieures à 12 mois. C’est l’endroit le plus sûr du complexe. Dans la cafétéria, les détenus ont accès à une bouilloire, récipient considéré comme une arme potentielle dans les autres prisons de Rikers Island en raison de l’eau bouillante qu’il peut contenir.

Comme tous les autres détenus, le retraité de 76 ans doit travailler dans la cuisine, la boulangerie ou un autre service de la prison, où il purge une peine de cinq mois pour parjure.

Mais rien ne l’empêche de quitter l’endroit pour témoigner dans le procès de son ancien patron à Manhattan. Pourquoi alors la poursuite ne l’a-t-elle pas appelé à la barre ?

Les jurés du procès de Donald Trump doivent se poser la question à l’approche de leurs délibérations, qui pourraient débuter au milieu de la semaine. Et le juge chargé du procès, Juan Merchan, devra peut-être leur fournir une réponse lorsqu’il leur donnera ses instructions.

Quel était son rôle ?

Allen Weisselberg n’est certes pas le seul témoin manquant de ce procès, comme on le verra plus loin. Mais il joue un rôle central dans cette histoire. Rôle aussi important, sinon plus que celui de Stormy Daniels, dont le témoignage a captivé l’attention des Américains durant la quatrième semaine du procès.

Selon le témoignage de Michael Cohen, Allen Weisselberg a d’abord pris part à une discussion sur la façon de payer Stormy Daniels pour la faire taire avant l’élection présidentielle de 2016 sur ses allégations d’une relation sexuelle avec Donald Trump. Il aurait proposé d’offrir un abonnement à l’un des clubs de golf de son patron à quelqu’un qui avancerait les 130 000 $ réclamés par l’actrice de films pornographiques ou de créditer une famille souhaitant organiser une bar-mitsvah dans l’une des propriétés de la Trump Organization.

À la barre, Michael Cohen s’est souvenu d’avoir rejeté ces stratagèmes qui auraient lié directement la Trump Organization au paiement de 130 000 $. Il a ajouté qu’il avait demandé à Allen Weisselberg d’avancer lui-même la somme d’argent. Le comptable des Trump de père en fils lui aurait répondu qu’il n’en avait pas les moyens en raison des coûts de l’éducation privée et des camps de vacances de ses petits-enfants.

« J’ai fini par dire : “D’accord, je vais payer” », a déclaré Michael Cohen lors de son témoignage.

Dans une autre partie de son témoignage, Michael Cohen a raconté qu’Allen Weisselberg était présent lors d’une rencontre cruciale à la Trump Tower à la mi-janvier 2017. Selon ses dires, c’est là que Donald Trump a approuvé le plan du directeur financier de son entreprise visant à faire passer pour des frais juridiques le remboursement des 130 000 $ versés par son avocat personnel à Stormy Daniels.

Un témoin trop taré pour la poursuite et la défense ?

La poursuite espère que le témoignage de Michael Cohen, appuyé par des notes manuscrites d’Allen Weisselberg et des chèques signés par Donald Trump, suffira à prouver hors de tout doute que l’ancien président est coupable d’avoir falsifié ou fait falsifier des documents commerciaux afin de camoufler sa violation d’une loi électorale de New York.

La défense, elle, souhaite avoir réussi à miner la crédibilité de Michael Cohen lors des deux premières journées d’un contre-interrogatoire qui doit prendre fin ce lundi. D’où l’intérêt que partagent sans doute plusieurs jurés d’entendre la version de cet Allen Weisselberg dont ils ont tant entendu parler durant le procès.

Or, Allen Weisselberg est un témoin problématique pour les deux parties. La poursuite ne serait pas certaine d’obtenir la vérité en l’appelant à la barre. Après tout, l’ancien directeur financier de la Trump Organization a plaidé coupable en mars dernier à une accusation de parjure liée à son témoignage lors du procès de Donald Trump pour fraudes à New York. Il s’agissait de sa deuxième reconnaissance de culpabilité, la première découlant du procès pour fraude fiscale le visant ainsi que la Trump Organization en 2022.

PHOTO CURTIS MEANS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Allen Weisselberg, lors de sa condamnation pour parjure, le 10 avril

Lors de ce procès, Allen Weisselberg a témoigné pour la poursuite, contribuant au verdict de culpabilité rendu contre la Trump Organization. Mais il a refusé de mettre en cause Donald Trump lui-même.

Vers la même époque, Allen Weisselberg a reçu de la Trump Organization une indemnité de départ de 2 millions de dollars dont il lui reste encore 750 000 $ à percevoir. Somme dont il pourrait être privé s’il témoignait contre Donald Trump.

Pour autant, la défense n’a pas l’intention d’appeler Allen Weisselberg à la barre pour contredire la version de Michael Cohen. Elle redoute peut-être la possibilité qu’il dise des bouts de vérité, sinon toute la vérité, dans l’espoir d’éviter d’être accusé et condamné de nouveau pour parjure, crime assorti d’une peine d’emprisonnement maximale de sept ans à New York.

La poursuite et la défense font peut-être le même calcul en ce qui concerne un autre témoin manquant : Keith Schiller. L’ancien garde du corps de Donald Trump peut notamment en dire long sur ce qui s’est passé le jour de 2006 où Stormy Daniels a rencontré le futur président lors d’un tournoi de golf à Lake Tahoe, au Nevada.

Donald Trump nie avoir eu une relation sexuelle avec Stormy Daniels, tout comme il nie avoir donné le feu vert au stratagème visant à camoufler les 130 000 $ qui lui ont été versés.

Il s’est déjà dit prêt à témoigner à son procès. Or, à moins d’une surprise monumentale, il n’en fera rien. Lorsqu’il s’adressera aux jurés avant leurs délibérations, le juge Merchan leur dira qu’ils ne peuvent retenir cette décision contre le prévenu.

Mais il pourrait reprocher à la poursuite le refus de cette dernière d’appeler à la barre Allen Weisselberg.