(New York) Par une chaude journée de l’été 2012, Donald Trump reluque une joueuse de tennis qui vient de quitter un des courts de son domaine privé de Bedminster, au New Jersey.

« Regarde-moi ce petit cul », lance-t-il à Michael Cohen, qui se tient à ses côtés, non loin de la piscine du domaine. « J’aimerais bien me le taper. »

L’avocat personnel, ou plus précisément le « fixer » de Donald Trump, se fige en entendant les mots de son patron, alors que la joueuse, vêtue d’une jupe courte et d’un débardeur, se dirige vers lui.

« C’est ma fille », glisse Cohen à l’oreille de Trump, en parlant de l’adolescente de 15 ans.

« C’est ta fille ? Quand est-elle devenue si hot ? », réplique le milliardaire, qui réclamera peu après à Samantha Cohen un baiser comme celui qu’elle déposera sur la joue de son père.

« Depuis quand as-tu une si belle silhouette ? Tu as vraiment grandi, lui dira-t-il. Tu ferais mieux de faire attention, parce que dans quelques années, je sortirai avec l’une de tes amies. »

Michael Cohen raconte l’anecdote dans Disloyal, ses mémoires écrits pendant son séjour en prison. Il rappelle que sa fille était non seulement dégoûtée par les commentaires de Donald Trump sur son physique, mais aussi par le traitement condescendant que ce dernier lui réservait en tant qu’employé.

« Elle voulait que j’arrête de travailler pour Trump », écrit-il.

Sa femme Laura était du même avis. Mais Michael Cohen a continué à travailler pour l’ancien président.

Le « charme » de Trump

Disloyal est un livre incontournable pour comprendre la relation tordue entre Donald Trump et Michael Cohen, qui renoueront ce lundi dans une salle d’audience de New York à l’occasion d’une confrontation extraordinaire.

À la barre, Cohen entamera un témoignage qui sera décisif dans l’issue de ce qui pourrait être l’unique procès pénal de Donald Trump avant l’élection présidentielle de 2024. À en juger par ses mémoires, les jurés le trouveront soit fascinant, soit répugnant, ou les deux à la fois.

Son premier tête-à-tête avec l’homme d’affaires remonte à 2006. Alors âgé de 39 ans, Michael Cohen est déjà multimillionnaire. Il ne doit pas tant sa fortune à sa pratique du droit en dommages corporels qu’à ses investissements dans la rude industrie du taxi new-yorkais. Il possède aussi plusieurs appartements dans des immeubles portant le nom de Trump, dont l’un se trouve dans la Trump World Tower (TWT), où le conseil d’administration est en guerre contre Donald Trump.

Mis au courant par son fils Donald Jr. de la réputation d’avocat pitbull de Michael Cohen, le promoteur immobilier et star de l’émission de téléréalité The Apprentice l’invite à son bureau de la Trump Tower et lui demande de régler son problème avec le conseil d’administration de la TWT.

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Donald Trump et Michael Cohen en 2012

Cohen est déjà un fan fini de l’auteur du best-seller The Art of the Deal, qu’il a lu deux fois plutôt qu’une. Il s’acquitte de sa première mission avec brio. Puis d’une autre, où Trump lui demande d’orchestrer la liquidation extrajudiciaire d’une entreprise déficitaire qui nuit à son image. « Sois dur. Et je veux dire très dur », dit-il à Michael Cohen, qui ne se souciera pas des vies bouleversées ou détruites par son action illégale.

« En l’espace de quelques mois, j’ai commencé à tomber sous le charme de Donald Trump », écrit l’avocat. « La question n’était plus de savoir ce que je ferais pour Trump, mais ce que je ne ferais pas. Et la réponse courte était que je ferais et dirais à peu près n’importe quoi. »

« Comme un chef de la mafia »

L’auteur de Disloyal compare l’emprise qu’a eue Donald Trump sur lui à celle que ce dernier exerce aujourd’hui sur ses partisans. Emprise qui n’était cependant pas seulement celle d’un gourou sur les membres de sa secte.

Donald Trump était comme un chef de la mafia, dans un sens, et je voulais être son soldat de la pire des façons, et j’étais prêt à passer n’importe quel test mis sur mon chemin.

Extrait de Disloyal de Michael Cohen

Cela signifie escroquer des entrepreneurs au nom de Donald Trump, arnaquer ses partenaires commerciaux, mentir à sa femme Melania pour cacher ses infidélités sexuelles, et intimider ou engueuler tous ceux qui entravaient son chemin vers le pouvoir.

Et cela inclut évidemment verser 130 000 $ à Stormy Daniels avant l’élection présidentielle de 2016 en échange de son silence sur la relation sexuelle qu’elle affirme avoir eue avec Donald Trump. Ce dernier est aujourd’hui accusé d’avoir falsifié des documents commerciaux pour camoufler le remboursement de cette somme d’argent à son ancien « fixer ».

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L’actrice porno Stormy Daniels

La falsification des documents ne semble faire aucun doute. Mais Donald Trump l’a-t-il approuvée ? Michael Cohen est peut-être le seul témoin capable de fournir une réponse susceptible de convaincre les 12 jurés de ce fait hors de tout doute raisonnable.

Un menteur invétéré

Or, il n’est pas nécessaire de lire Disloyal pour savoir qu’il n’est pas un témoin idéal. Michael Cohen a plaidé coupable d’avoir menti au Congrès dans le cadre de l’enquête russe, d’avoir fraudé le fisc et d’avoir violé les règles de financement des campagnes électorales (en lien avec les paiements à Stormy Daniels et à Karen McDougal).

Cohen se défendra en disant que certains de ses crimes ont été commis pour protéger celui qu’il appelle le « Boss » dans ses mémoires. Mais les avocats de la défense ne manqueront pas de matière pour le faire passer pour un menteur invétéré qui cherche à se venger de n’avoir pas hérité d’un poste dans l’administration Trump.

Ils pourraient aussi se servir de Disloyal pour le dépeindre comme un gangster. Dans ses mémoires, Michael Cohen se souvient d’avoir travaillé pendant l’été de ses 15 ans dans le club de son oncle à Brooklyn, El Caribe, qui était fréquenté par les membres du clan mafieux Lucchese. Il se prenait alors pour un jeune Henry Hill, personnage réel incarné par le regretté Ray Liotta dans le film Goodfellas.

Dans ses mémoires, il nomme aussi parmi ses modèles de jeunesse un avocat sulfureux, Roy Cohn, et deux membres de la mafia juive, Meyer Lansky et Bugsy Siegel.

« Je pratiquerais le droit, ai-je décidé étant jeune, mais je le pratiquerais comme un gangster », écrit-il.

Comment les jurés peuvent-ils se fier à un tel homme ?

À la barre, Michael Cohen fournira peut-être la même réponse qu’il sert aux lecteurs de Disloyal : « Toute personne chargée de l’application de la loi vous dira que seuls les gangsters peuvent révéler les secrets du crime organisé. Si vous voulez savoir comment la mafia fonctionne vraiment, vous devez parler aux méchants. J’étais l’un des méchants de Trump. Dans son monde, j’étais un homme d’honneur à 100 %. »