Ma mère n’a pas tenté de comprendre pourquoi il rageait et détruisait tout dans la maison les jeudis, vendredis et samedis soir. Elle était trop occupée à regarder ses émissions et à boire sa bouteille de vin, ou son jus, comme elle l’appelait : un mélange de vodka et de jus d’orange.

Mon frère a commencé à se battre à l’école, aussi. En classe, on a vu ses accès de colère comme de l’hyperactivité et un comportement dérangeant à éradiquer plutôt qu’un appel à l’aide. On l’a médicamenté. Le Ritalin était très à la mode au début des années 2000. Il a décroché à 14 ans après avoir enchaîné les échecs scolaires.

À l’époque, et encore aujourd’hui, c’est très tabou de parler de violence intrafamiliale. La violence conjugale, on en parle davantage. Mais les enfants qui battent leur parent, c’est rare qu’on l’entende.

C’est honteux pour tout le monde, c’est contre nature. Donc les enfants qui la vivent, comme moi, essaient de garder la face et font comme si de rien n’était dans le monde extérieur. Et les voisins se taisent. Nous habitions dans un petit croissant. Les fenêtres étaient ouvertes ; les voisins ont tout entendu, pendant des années. Et pourtant, personne n’est intervenu, personne n’a fait de signalement à la DPJ.

Pas si inexplicable

On en parle seulement lors d’un moment tragique, comme lors des cas de parricides, ces meurtres qui sont en augmentation et qu’on qualifie souvent d’« inexplicables ». Il y a des mots qui ressortent souvent dans les médias. Comme l’expression « drame familial » ou la phrase « l’accusé souffrait de problèmes de santé mentale » : des mots fourre-tout qui n’expliquent pas grand-chose et qui cachent souvent des crimes en eux-mêmes.

D’ailleurs, lorsqu’on voit les nouvelles qui parlent de crimes violents défiler, on se sent souvent mal pour la famille de l’accusé. Chaque fois que je vois ce genre de nouvelles, je me dis qu’il y a des gens là-dedans qui ont vu des choses, mais qui se sont tus. Par honte, pour ne pas faire de trouble, pour ne pas se mettre à dos des membres de la famille, par impuissance face à un système rempli de trous. Au risque d’en confronter plus d’un, je pense que dans beaucoup de cas, un exercice de conscience de l’entourage s’impose.

Par l’entourage, j’inclus aussi les employés de l’État. Où était l’école lorsque mon frère a décroché, à 14 ans ? Si un signalement a été fait, pourquoi n’a-t-il pas été retenu ?

Vers 14-15 ans, j’appelais souvent la police. Une fois, au secondaire, j’avais dû demander à une amie en cachette sur MSN Messenger de contacter la police afin que mon frère ne s’en rende pas compte. C’est une des seules personnes qui m’ont crue et m’ont tendu la main : une autre enfant.

Lorsque les agents se présentaient, je racontais toujours la même histoire : que ma mère était soûle et que mon frère la frappait et qu’il nous pourchassait avec des couteaux dans la maison. Que j’avais peur.

Je me faisais dire : « Si ta mère ne veut pas porter plainte, il n’y a rien qu’on peut faire. » Assis autour de la table familiale, ma mère, encore soûle, disait au policier que j’inventais tout, que j’exagérais. Puis, elle utilisait du maquillage pour cacher les bleus sur ses bras pour aller au travail le lendemain. Les policiers partaient et, parfois, mon frère rageait encore plus.

Les périodes où il a commencé à consommer du crack le mettaient dans des rages extrêmes. Dans ma tête d’enfant, je rêvais du jour où j’aurais assez d’argent pour pouvoir payer un garde du corps à ma mère, pour qu’elle soit protégée à temps plein.

* Nous protégeons l’identité de l’autrice de cette lettre afin de ne pas révéler celle de son frère, ce qui pourrait nuire à son droit à un procès juste et équitable.

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