Il m’arrive de temps à autre, partout où je mets les pieds, de me faire demander d’où je viens, à quelle contrée j’appartiens. J’avoue candidement avoir longtemps cherché la réponse qui satisferait cette curiosité.

Dans ma quête d’appartenance et d’identité, toujours en évolution et jamais achevée, il m’arrivait souvent d’éprouver des difficultés à définir qui j’étais. À 35 ans, l’éclairage que m’apportent les années renforce chaque jour ma certitude qu’une seule réponse est la bonne. Ma nation se fête le 24 juin.

C’est elle qui m’a choisi il y a 45 ans lorsque Jacques Couture, l’humaniste de son temps, implora son peuple d’ouvrir les bras pour accueillir des réfugiés de l’autre bout du monde avec chaleur et générosité.

Depuis ma tendre enfance, l’arrivée de la Saint-Jean évoque en moi un sentiment de bonheur. Je me souviens de la fébrilité des derniers jours de classe, l’anticipation de la cloche finale sonnant le début des vacances.

Une fois les saluts terminés, c’était l’aller direct vers la piscine municipale, avant de se rejoindre le soir du 23 dans le parc du quartier.

L’avantage d’avoir grandi dans un coin multiethnique, c’est de voir défiler, maquillés en bleu, les couleurs et accents de toutes origines célébrant l’énorme chance que nous avons de vivre ensemble. L’instant d’une soirée, les différences superficielles qui nous séparent d’ordinaire laissent place à la communion, au partage et aux sourires.

C’est cette chaleur qui me pousse à rester. Ce laisser vivre que l’on retrouve rarement ailleurs, permettant la libre expression de soi sans se faire juger.

J’admire l’empathie de notre collectivité, qui nous pousse d’emblée à nous solidariser avec les opprimés. Notre social-démocratie, parfois méprisée et souvent tenue pour acquise, qu’on apprécie infiniment quand elle vient nous aider. Travaillons pour la protéger, la moderniser afin qu’elle puisse poursuivre son rôle.

J’affectionne la bienveillance de notre peuple, qui permet les deuxièmes chances par un filet social généreux offrant des outils pour rebondir. Même dans mes jours les plus sombres, j’ai toujours cru qu’il était possible de me relever.

Entendre toutes les voix

Hormis quelques incidents, j’ai rarement senti être marginalisé. Mais ma chance ne peut en aucun cas être généralisée. Il faut écouter les voix minorisées, les voix invisibilisées. Entendre celles qui expriment leur souffrance. Car chaque voix réduite au silence rend toute la société moins forte et moins libre.

Je ne parle même pas des postures politiciennes à la merci des scrutins. De ces discours opposant les uns aux autres, qui prétendent parler d’une voix au nom de tous pour laisser, au bout du compte, une fois les urnes passées, les plus vulnérables avec les pots cassés, avec le sentiment d’être de trop dans cette communauté.

Souvent, je me suis vu vivre ailleurs. Lors de plusieurs périples du nord au sud au pays de mes ancêtres pour scruter un lieu où je pourrais bien me terrer. Dans mes nombreux rêves où je trouvais le bonheur à bord d’un voilier au large du lac Léman, près de Coppet, où Madame de Staël brandit sa plume pour faire trembler des armées.

Mais, au bout de chaque voyage, aussi palpitant soit-il, je ne me sens réellement en paix qu’une fois descendu à Dorval, après avoir retrouvé les accents familiers de notre Montréal imparfait, mais bien-aimé.

J’aime ma nation, même si pour certains, je n’en ferai jamais partie. Même s’il m’arrive parfois d’être regardé d’un œil suspect, comme une menace potentielle. Même si pour plusieurs, je serai toujours trop ceci ou pas assez cela pour être un des leurs. Par mon apparence, le nom que je porte ou ma façon de prononcer les mots.

Même si, pour beaucoup, mon appartenance est toujours conditionnelle, révocable et constamment soumise à des tests, où je devrai prouver allégeance en satisfaisant à une liste de critères arbitraires comme les émissions que je regarde, comment j’exerce mon droit de vote et quelles vedettes je connais.

N’en déplaise aux esprits chagrins, je compte bien rester un peu, jusqu’au jour où le temps m’appellera pour passer à la vie suivante. J’ai d’autant plus l’intention de m’enraciner d’ici là pour laisser aux futurs citoyens qui porteront mon nom une nation qui les inclura et dans laquelle ils s’épanouiront.

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