Comme plusieurs, j’ai été d’abord dubitative, ensuite catastrophée, devant le débat présidentiel entre Donald Trump et Joe Biden, le 27 juin dernier.

J’ai eu envie, sur le moment, de défendre Joe Biden, non seulement parce qu’il représente la seule avenue possible si on veut éviter la plongée dans le pire, mais parce que je m’oppose à cet âgisme (et à ce capacitisme) qui s’est exprimé de manière décomplexée à la suite du débat.

J’ai eu envie de défendre cet homme politique en me disant qu’il peut très bien accomplir son travail de manière intelligente en mettant à profit le savoir accumulé au fil des années, malgré le fait qu’il ne peut plus débattre comme avant, malgré le fait qu’il a plus de 80 ans.

Je me suis demandé si un homme politique ne méritait pas d’être à cette place justement parce qu’il ne correspond plus à une masculinité qui carbure au pugilat ?

Car force est de constater que le débat, cette pratique politique préférée, ce moment où les candidates et candidats s’affrontent devant les caméras, reste tributaire d’une logique guerrière. C’est un mode d’expression qui profite aux grandes gueules et aux corps extradynamiques, mais qui nuit aux modes d’expression plus mineurs, plus lents, moins spectaculaires, plus posés, plus mesurés, et qui s’avèrent, dès lors, forts d’une humilité qui les rend peut-être plus intelligents. Et est-ce que ce n’est pas ce dont nous avons besoin, collectivement, en ce moment ?

On entretient le mythe qui veut que la politique ne soit pas une arène faite pour les femmes, d’où le refus de lois visant la parité parce qu’alors, les femmes profiteraient d’un passe-droit (incapables qu’elles sont, naturellement, de gouverner), contrairement aux hommes qui, eux, mériteraient de manière incontestable la place qu’ils ont gagnée. Et peu importe le nombre d’exemples qui font la preuve du contraire – combien d’incompétents se sont assis dans le fauteuil du pouvoir ? Combien de brigands, de menteurs, de harceleurs ?

Ainsi, l’agitation de Donald Trump l’emportera sur la rigidité de Joe Biden. La rapidité l’emportera sur la lenteur. Les phrases simples truffées de mensonges l’emporteront sur l’hésitation et le bégaiement surmonté dans le but d’exposer la vérité. Et ce sera la faute, malheureusement (je me résigne à ne pas le défendre), d’un Joe Biden qui devrait, étant donné son état et nos attentes envers les personnages politiques, avoir la grâce de laisser sa place. En espérant que peut-être quelqu’un d’autre – une femme ? Kamala Harris, sa colistière ? – tienne tête à Donald Trump, parvienne à convaincre la majorité, et s’installe dans la Maison-Blanche pour y défendre, le mieux possible, des valeurs libérales.

PHOTO BRIAN SNYDER, ARCHIVES REUTERS

Donald Trump et Joe Biden lors du débat du 27 juin dernier, à Atlanta

Mais ça ne se produira sans doute pas. À ce jour, et malgré le fait que certaines voix démocrates osent manifester une opposition à la candidature de Joe Biden, ce dernier refuse toujours de lâcher le morceau, de se déplacer juste assez pour que quelqu’un d’autre reprenne le flambeau et ait la possibilité de faire le travail, à sa place, puisqu’il semble avoir, désormais, perdu la confiance de ses compatriotes.

Allez-vous insister, Monsieur Trudeau ?

Enfin, qu’en est-il de vous, Monsieur le Premier Ministre du Canada, Justin Trudeau ? Allez-vous insister, vous aussi, pour vous présenter aux prochaines élections dans le but d’obtenir un dernier mandat, alors que les sondages annoncent à la fois votre échec et une montée spectaculaire de la droite, avec tout ce que ça représente de menaces pour les droits et la qualité de vie des femmes, des personnes racisées, des immigrants et des réfugiés, des communautés autochtones, de la communauté LGBTQ+, des personnes sans logement, des personnes qui vivent dans la pauvreté, jusqu’à notre survie sur cette planète qui continuera à être mise en péril si les questions environnementales passent encore une fois à la trappe ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le premier ministre Justin Trudeau en rencontre éditoriale à La Presse, en décembre 2023

À l’occasion de votre première élection, quand tous les regards étaient tournés vers vous et que les médias faisaient de vous un sex-symbol⁠1, je vous avais écrit une lettre où j’essayais de penser ce que voulait dire le fait qu’un jeune et joli premier ministre venait d’être élu, et si la manière dont on s’intéressait à vous était une forme de discrimination ? Ça n’était pas le cas, bien sûr, puisqu’être un homme jeune et joli peut aussi avoir pour effet d’augmenter la puissance, le pouvoir. Prenons l’exemple de Jordan Bardella, qui sera sans doute élu premier ministre de la France au prochain tour des élections législatives, lui que Philippe Moreau-Chevrolet décrit, dans Le Nouvel Obs, comme un homme-chaton⁠2, ni trop masculin ni trop efféminé, un objet neutre, en somme, bien habillé, joli sourire, inoffensif, sexy mais pas trop, et surtout, qui n’incarne pas la colère.

J’ose croire, cher Monsieur Trudeau, que votre ego n’est pas aussi démesuré que celui de ces hommes politiques incapables de s’imaginer ailleurs que là où ils sont, ces hommes qui s’accrochent de toutes leurs forces, même si c’est au prix du bien commun.

Ces hommes dont le visage représente l’uniformité plutôt que la diversité. Est-ce qu’il n’y a pas, justement, autour de vous, dans votre garde rapprochée, des femmes et des hommes susceptibles de reprendre le flambeau et, peut-être, d’empêcher la chute ?

Tout au long de votre carrière, vous avez mis de l’avant votre appui aux enjeux féministes. Eh bien, le moment est venu de le prouver, parce que ce qui serait véritablement féministe, au regard des prochaines élections, ce serait de reconnaître que vous risquez fort de perdre et ainsi de nous faire perdre devant une droite qui ne saura nous faire que du tort.

Nous, toutes celles et ceux qui ne sont pas vous et qui méritent d’être représentés, défendus, protégés. Au début de votre premier mandat, c’était, il me semble, une de vos promesses. Et si vous avez réussi, parfois, à nous convaincre que vous disiez vrai, le moment du coup de grâce est arrivé.

Partez.

1. Lisez la lettre d’opinion « Justin, nouveau ‟sex-symbol” » 2. Lisez « Jordan Bardella est un chaton, sexy, mais ça ne suffit pas pour lui confier le destin du pays » (abonnement requis) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue