Collectivement, nous sommes souvent dévorés par l’urgence d’un quotidien dont il est difficile de s’extraire. Englués par l’immédiat, nous négligeons parfois de voir venir et prévoir en conséquence, et ce, même lorsque le défi qui nous attend saute aux yeux autant que le nez de Cyrano.

L’impact sous-estimé du vieillissement des baby-boomers constitue un exemple patent d’un certain manque de réflexion à long terme. Heureusement, le plan d’action piloté par la ministre Sonia Bélanger nous libère quelque peu d’un déni improductif en reconnaissant l’importance cruciale que revêtira immanquablement le soutien à domicile dans l’équation.

Un autre enjeu aussi prévisible n’a cependant pas reçu la même attention.

À ce jour, l’avenir des milliers de clochers qui ponctuent le paysage québécois demeure flou. Or, nous devons réfléchir dès maintenant à l’incontournable reconversion de ces lieux emblématiques. Après tout, le patrimoine qui survit est celui qui sait s’adapter et renouveler sa vocation.

Alors que de nombreuses villes québécoises peinent à joindre les deux bouts, quelques voix s’élèvent pour mettre fin à l’exemption fiscale religieuse⁠1. Certes, les manques à gagner municipaux se révèlent substantiels. Nous comprenons donc aisément pourquoi plusieurs villes lorgnent avidement toute forme de revenu additionnel, a fortiori si la cible est facile.

Toutefois, si nous souhaitons que la conversion de nos églises se fasse en douceur et dans le respect du patrimoine, nous devrions au contraire maintenir l’exemption et même l’étendre aux organismes qui se porteraient garants de ces bâtiments historiques.

Le principal argument invoqué pour mettre un terme à l’exonération fiscale religieuse repose sur un fait incontestable. Depuis un certain temps déjà, c’est l’État et non l’Église qui assure les services publics essentiels.

Le milieu communautaire à la rescousse

Cela dit, un secret de Polichinelle commence à poindre : avec la pression croissante qui s’exerce sur le modèle québécois, le milieu communautaire et civique sera appelé à pallier les besoins grandissants en culture, en loisirs et en services aux citoyens vulnérables.

Or, nos organismes font face à des défis financiers constants qui fragilisent leur capacité à répondre aux nécessités de la communauté⁠2. Qui plus est, des embûches administratives compromettent sérieusement leur volonté d’acquérir des églises désaffectées.

En effet, les OBNL qui souhaiteraient s’aventurer dans cette voie ne peuvent pas présenter d’avance leur requête d’exemption de taxes. Leur plan d’affaires s’en trouve donc difficile à ficeler.

De plus, les municipalités n’ont pas le dernier mot quant à l’octroi d’exemptions sur leur territoire. Le tribunal administratif de la Commission municipale du Québec refuse parfois la demande⁠3, au grand dam de la municipalité qui y aurait quant à elle consenti. Enfin, les droits de mutation ne sont jamais inclus dans l’exemption, malgré le fait qu’ils représentent des sommes importantes pour des bâtiments comme les églises. Nous aurions tout intérêt à revisiter ces façons de faire.

Par ailleurs, les espaces confessionnels à requalifier au cœur de nos villes pourraient également constituer une des nombreuses clés pour dénouer la crise du logement. Comme l’a évoqué Stéphanie Grammond⁠4, un sérieux doute plane quant à l’usage réel des leviers offerts par la loi 31. Pour des raisons politiques évidentes, il y a fort à parier que ce recours demeurera marginal. Nous pourrions donc nous inspirer de nos voisins du Sud dont le programme Faith-Based Affordable Housing inclut des exemptions automatiques au zonage pour la construction de logements abordables sur les vastes lotissements religieux. Cela présenterait le double avantage de préserver notre patrimoine et de répondre à des besoins humains pressants.

C’est en prenant des décisions éclairées aujourd’hui que nos clochers incarneront non seulement des symboles du passé, mais aussi des piliers du futur.

1. Lisez la chronique « Le tabou de la laïcité fiscale » 2. Lisez la lettre d’opinion : « Optimismes communautaires : fragilité » 3. Consultez le site de la Commission municipale du Québec 4. Lisez l’éditorial « La crise de l’habitation, en pièces détachées » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue