Les unes après les autres, les organisations policières se voient dans l’obligation de statuer sur la possibilité d’arborer le symbole de la « mince ligne bleue⁠1 ». La vive émotion qui caractérise le contexte de la décision précipite cette dernière. Prendre le temps de la réflexion, ainsi que l’a fait le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), est absolument incontournable afin de s’extirper d’une dichotomie aliénante.

Rappelons les éléments qui suscitent le débat.

Au sein des forces policières, la ligne bleue évoque deux réalités. D’une part, cette idée que la police sert de rempart contre le crime, donc le désordre, pire, le chaos. Dans des sociétés fragilisées par la désorganisation et les conflits sociaux, la ligne ploie, menaçant de rompre.

Inévitablement, alors qu’augmente la violence, le tribut payé par les forces de l’ordre s’alourdit. Les décès s’accumulent : accidents, suicides, homicides. Porter la « Thin Blue Line » devient ainsi également une manière de saluer celles et ceux qui ont perdu la vie.

Des deux, c’est cette dernière qui, selon notre perception, est la plus significative pour les policières et policiers québécois. Une marque de solidarité, un vecteur de souvenir.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

La mince ligne bleue ou « Thin Blue Line »

Mais voilà, le symbole de la ligne bleue a été victime d’une appropriation par des groupes américains baignant dans une mouvance largement associée à l’extrême droite. On a assisté à une dénaturation du symbole, une association au suprémacisme blanc, alors même que la plupart de ceux qui la portaient se référaient aux sens originels.

Aujourd’hui, la ligne bleue est source de division, de tensions. Les membres des communautés qui font les frais du racisme souffrent, dans leur être, dans leur chair, à la vue d’une « Thin Blue Line » devenue symbole d’oppression, d’inégalité.

Peut-on aujourd’hui porter la mince ligne bleue ? Absolument pas. Le faire, en faisant fi du ressenti des communautés racisées, revient ni plus ni moins à endosser la somme des significations associées au symbole.

Le besoin d’un symbole

Pour autant, je ne peux que comprendre le besoin d’avoir un symbole de commémoration pour la fraternité policière. C’est d’ailleurs la perte d’un être cher qui a entraîné ma réflexion. La « Thin Blue Line » embrassant désormais bien autre chose que mes valeurs, je ne pouvais me résoudre à l’utiliser. L’expurger du signifié toxique n’était pas non plus envisageable. Ne s’offrait qu’une troisième voie : la réinventer, créer un nouveau symbole.

À l’instar du SPVM, j’ai d’abord réfléchi à la philosophie qui devait accompagner ce nouveau symbole, et qui devait être empreinte de la réalité québécoise.

Le message à envoyer est que la vraie ligne bleue est celle qui unit la police à sa population. Ici, au Québec, ces liens ne sont pas ténus. Nous avons la chance d’avoir une police de qualité, qui ne craint pas, parfois, de se regarder dans le miroir.

Nous avons la chance d’avoir une police qui est très généralement respectée et appréciée par la population. Nous, au Québec, n’avons pas de mince ligne bleue. Mais cela ne signifie pas pour autant que nous n’avons pas à prendre soin de ces liens si précieux.

Suffisamment de recherches en criminologie ont démontré que la confiance envers la police est une variable clé dans sa capacité à remplir sa mission : protéger l’ordre social, protéger l’intégrité physique des citoyens ainsi que leurs biens. Nous aurions tort d’oublier que nos corps policiers sont un vecteur de paix sociale, que pour l’essentiel, nos policières et policiers sont des artisans acharnés de la justice. Nous nous devons de leur permettre, dans le respect des règles qui encadrent le port de l’uniforme, de se reconnaître autour d’un symbole fort d’unité. En retour, elles et ils doivent accepter qu’ensemble nous en dessinions les contours.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le nouveau symbole proposé par le SPVM pour remplacer la mince ligne bleue

La traduction visuelle de la réflexion du SPVM est très intéressante. La ligne devient cercle, illustrant des valeurs d’intégration, d’union. Elle évoque ce mécanisme puissant, profitable dans l’apaisement des tensions que sont les cercles de parole. Elle offre un autre avantage : un symbole tout en discrétion, avec une place importante pour les armoiries du service.

IMAGE FOURNIE PAR L’AUTEUR

Le symbole proposé par l’auteur pour remplacer la mince ligne bleue

Conserver des traces du symbole originel avec le « Policier » (comme acteur et institution plutôt que comme organisation) au centre a prévalu dans ma démarche. Mais cette ligne bleue, à l’image de notre police, se transforme, s’anime en un autre symbole, universel, celui de la paix : la colombe. Adressant à qui le voit un message d’harmonie, de fraternité, de concorde. La paix, également, pour celles et ceux qui nous ont quittés. Et cette colombe naît, prend son envol d’un symbole de vie, l’électrocardiogramme (ECG).

Ces deux propositions réussissent l’exercice délicat de création de ce nouveau symbole : rallier, sans diviser. Renforcer les liens, voilà encore le meilleur rempart contre les menaces auxquelles sont confrontées les démocraties occidentales et qui, souvent, trouvent leurs racines dans les inégalités puis l’incompréhension. Un symbole marquant l’ouverture et l’écoute, c’est une occasion que nous ne devons pas manquer.

1. Lisez la chronique de Patrick Lagacé « Le SPVM veut se distancier du “Thin Blue Line” » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue