À 11 ans, on embarque le cercueil de mon frère dans une limousine noire, brillante. Pour me consoler, ma tante me dit : « Tu sais Michel que c’est une Cadillac. » Je lui réponds : « Serge est chanceux de se promener dans ce beau véhicule ! »

À 77 ans, on me dit la même chose sur la maison des aînés : un lieu magnifique ! J’entends la voix de ma tante qui dit : « Tu es chanceux de mourir dans un si beau château ! ».Je lui réponds : « Il manque au château un drapeau à mi-mât ! » La durée moyenne de vie dans un CHSLD est de deux ans, selon les statistiques.

Faisons-nous fausse route avec ces grands investissements dans ces maisons pour d’aînés ? Il est certain qu’on a un besoin de places en CHSLD. La question n’est pas là. On se trompe avec ces grands projets. Le Québec n’a pas les moyens pour accueillir tous les aînés présents et futurs dans ces endroits. Faisons cette réflexion. Plus on maintient les aînés dans leurs domiciles, et ce, jusqu’à la mort, plus on aura de la place en CHSLD. Amener un aîné dans un centre doit être la dernière solution.

Le Québec doit changer radicalement de cap et choisir prioritairement le maintien à domicile et non uniquement le soutien à domicile. La différence est énorme.

Beaucoup d’aînés ne veulent pas de ce château ; si beau soit-il. Ce qu’ils veulent, c’est le droit de vieillir dans la dignité, chez soi, dans sa maison (maintien à domicile). Faisons une politique structurante pour ce droit. Déplaçons une partie de ces sommes vers le maintien à domicile. Le résultat sera bénéfique pour les finances du Québec et surtout pour les aînés.

Il est prouvé qu’un aîné vieillissant chez lui avec des services nécessaires pour son maintien vit plus longtemps et surtout plus heureux. Pour leurs dernières années de vie, les aînés ne rêvent pas de ce paradis artificiel, pensé davantage pour ceux qui y travaillent et peut-être pour une certaine déculpabilisation sociale et politique : « Nous, au Québec, on s’occupe bien de nos aînés. » On oublie vite la maltraitance et le manque de soins. C’est plus facile de montrer avec fierté ce château aux touristes qui s’exclament : « Wow, ils sont chanceux, vos aînés au Québec ! »

La parole des aînés

À partir de 75 ans, les aînés se taisent davantage. Il leur semble que leur parole a si peu de valeur. Certains décideurs diront : « On sait ce qu’ils veulent. On consulte beaucoup d’organismes qui travaillent auprès d’eux. » Malheureusement, on semble assister à un phénomène : plus une personne vieillit, plus elle perd son droit à la parole.

Que veut-elle ? Des services adaptés et disponibles de maintien à domicile. Pas des béquilles ! Quand on parle de soutien, c’est une béquille qu’on offre. Si on manque de ressources, on lui dit : « débrouille-toi ! On est en rupture de stock ! Tu es sur la liste de commande. » Le gouvernement a peur de parler de maintien à domicile. C’est une responsabilité sociale qu’il refuse de prendre. Le gouvernement affirme faire son possible.

Affirmons fièrement qu’au Québec, le maintien à domicile est un droit qui permet de vieillir sereinement chez soi. Et même d’y mourir.

Mettons les outils nécessaires. Écoutons la volonté des aînés ! Une majorité d’aînés veulent mourir chez eux. Respecter les aînés, c’est certainement respecter cette dernière volonté.

Exigeons de notre gouvernement une vraie politique de maintien. Pourquoi ne pas consacrer une portion du PIB pour garantir cette priorité ? Cette volonté sociale donnerait des bras et des pieds aux belles déclarations gouvernementales sur « La fierté de vieillir ». Combien d’aînés auront le courage de lire les 133 pages de ce plan gouvernemental 2024-2029. Beaucoup de belles idées ! À aucun endroit on n’affirme le droit des aînés au maintien à domicile. En plus de la construction, les soins dans un CHSLD coûtent environ 100 000 $ par année par personne. Déplaçons une portion de cet argent vers le maintien à domicile. Offrons les services suffisants : soit en nursing et en soutien domestique. Faisons les adaptations technologiques des maisons des aînés dans le besoin ; développons des programmes d’aide financière, soit par des crédits d’impôt, des augmentations de rente, etc.

L’augmentation du nombre de personnes vieillissantes exigera ce choix de passer aux actes. Nos politiciens ne pourront plus ignorer le pouvoir grandissant des aînés ; ils représenteront une catégorie importante d’électeurs qu’aucun parti politique ne pourra ignorer lors des prochaines élections. Il est urgent que les aînés se dotent d’une structure de revendication directe auprès de nos gouvernements. La CARD (Coalition des aînés résidant à domicile) est un moyen à privilégier pour donner la parole aux aînés.

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