J’ai passé une grande partie de ma carrière à étudier les tendances de la criminalité et à expliquer les importantes baisses de la violence qui ont suivi les tumultueuses années 1970.

Parmi les grandes explications de la baisse de la criminalité entre 1980 et 2010 se trouvent les facteurs tels que la démographie (moins de jeunes), l’économie (plus d’emplois pour les jeunes adultes), les activités routinières (plus de temps passé à la maison devant un écran), l’éducation (plus de jeunes investis dans les programmes scolaires), la pharmacologie (l’arrivée de nouveaux antidépresseurs), le changement de valeurs sociales (une augmentation de la tolérance et de la compassion envers ses proches), le déploiement de traitements plus ciblés et efficaces des clientèles de justice (gestion de la colère, toxicomanie), une plus grande dénonciation des violences familiales ou sexuelles, la disparition progressive de l’usage de l’argent liquide et la baisse du coût d’achat du matériel électronique et des outils rendant les cambriolages moins attrayants.

Aussi, les développements spectaculaires des technologies ont certainement contribué à la baisse de la criminalité : le déploiement de milliers de caméras de surveillance, les avancées en termes d’ADN, l’accès aux données en temps réel par les policiers lors d’interventions, le suivi de nos déplacements et activités via nos téléphones, etc.

Plus de traces indélébiles équivalent à des risques d’appréhension plus élevés, donc à une baisse du crime.

Or, depuis quelques années, des sondages et articles de journalistes nous indiquent une préoccupation croissante de la population sur son sentiment de sécurité. Et les statistiques officielles de Statistique Canada reflètent bel et bien une hausse importante de la violence au cours des dernières années. La figure suivante que nous avons élaborée illustre les tendances des différentes formes de criminalité violente au Québec au cours des neuf dernières années, 2013 agissant comme point de référence.

Nous avons omis les tendances pour le vol qualifié, qui est le seul crime violent qui a diminué (de 33 %), baisse qui s’explique par l’abandon progressif de l’usage de l’argent liquide, tant chez les citoyens que dans les commerces.

Toutes les formes de crimes violents augmentent depuis 2016 et on peut voir que la hausse était amorcée avant les années 2020-2021, ce qui jette un doute sur l’explication « pandémie » de la hausse.

Depuis 2013, la possession d’armes prohibées a augmenté de 13 %, le harcèlement et les menaces, de 23 %, l’extorsion et l’entrave à la liberté ainsi que les voies de fait, de 28 %, les homicides, de 47 % et les agressions sexuelles ainsi que l’usage d’armes à feu (déployer, pointer ou décharger), de 93 %.

Il est à noter que les tendances en termes de nombre absolu de crimes montrent des hausses encore plus importantes (soit 21 % pour les armes, 32 % pour le harcèlement, 37 % pour les voies de fait et l’extorsion, 57 % pour les homicides et 107 % pour les agressions sexuelles et l’usage d’armes à feu).

Les causes

Mais comment peut-on expliquer une telle hausse de la violence ? D’une part, la littérature scientifique sur la nouvelle hausse, d’ailleurs observée au Canada anglais et aux États-Unis, est famélique. D’autre part, les données collectées par les policiers sur les évènements criminels permettraient au moins d’identifier pour quel genre de personnes, dans quel genre de situation, on observe des hausses importantes. Les données sont disponibles, il faut juste les exploiter. Or, ce travail d’analyse fine n’est fait par personne. D’ainsi connaître les situations en hausse permettrait d’envisager des solutions ; juste parler de logement ou d’inflation ne changera rien à la hausse tant qu’on ne peut diagnostiquer le problème.

Quelles seraient les hypothèses explicatives ? Pour moi, il est peu probable que l’usage de la violence soit plus fréquent d’année en année dans l’immense majorité de la population.

Le scénario le plus probable est qu’il y ait eu un rapide accroissement du nombre de personnes qui se retrouvent à vivre en marge de la société.

Les raisons possibles d’un passage « en marge » sont multiples, mais ont sûrement à voir avec l’exclusion économique et l’inflation, peut-être l’immigration, mais surtout avec une croissance de l’abus de substances et des problèmes de santé mentale. En particulier, l’arrivée récente des drogues opioïdes synthétiques comme le fentanyl vient changer la donne.

Les solutions

Que pourrions-nous faire ? Bien sûr, il faut améliorer les services de dernier recours offerts aux citoyens en difficulté, augmenter l’offre de logement social et offrir un accès plus facile aux soins en toxicomanie et en santé mentale. Mais il faut aussi agir avec les nombreuses personnes qui sont réfractaires à l’intervention – qui refusent toute forme d’aide et de traitement – et qui commettent des gestes violents, le plus souvent à l’égard d’autres personnes en difficulté.

L’action passe par une redynamisation des services de police (donner les moyens aux policiers d’agir), par un recadrage du rôle de la Commission d’examen des troubles mentaux et par un usage plus approprié des tribunaux criminels et des services correctionnels (qui d’ailleurs montrent des étonnantes baisses des populations carcérales au cours des dernières années).

Il est peut-être aussi temps de revoir le sacro-saint principe qui veut que la personne doive accepter le traitement qu’on lui offre ; entre l’époque « Saint-Jean-de-Dieu » et la situation actuelle rue Sainte-Catherine dans le village, il y a peut-être un juste milieu. Il n’en reste pas moins qu’il faut agir énergiquement pour endiguer ce nouveau phénomène qui crée de l’insécurité chez des milliers de citoyens, surtout chez ceux qui vivent dans des milieux économiquement défavorisés. Et cette nouvelle tendance lourde de la violence, si rien n’est fait, risque bien de perdurer.

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