D’un jour férié à l’autre, la fin de juin nous offre l’occasion de réfléchir, coup sur coup, à notre québécitude et à notre rapport au Canada. Du 24 au 1er, deux rituels collectifs s’enchaînent. En public comme en privé, en complémentarité ou en conflictualité, chacun y trouve de quoi nourrir sa propre ambivalence identitaire.

Si chaque individu vit de manière bien personnelle ce « fédéralisme des jours fériés », nos gouvernements, eux, semblent plus que jamais converger vers l’unilatéralisme.

Les entités fédérales et fédérées, censées se comporter en partenaires, se réfugient de plus en plus dans une action unilatérale. Chaque gouvernement fait à sa tête – sans égard aux répercussions de ses actes sur les autres partenaires de la fédération. Plus le temps passe, plus le Canada d’aujourd’hui ressemble à une fédération sans trait d’union.

Peu de mains tendues

L’unilatéralisme s’impose d’abord à Ottawa. Au menu du dernier budget : construction de logements sociaux, création de places en garderie, programme d’alimentation scolaire, même Hydro-Québec est désormais visée par une nouvelle obligation de rendre annuellement compte de l’incidence d’un crédit d’impôt fédéral sur ses activités. Au sein du gouvernement Trudeau, l’indifférence ou la défiance à l’endroit des provinces est telle que l’on préfère recourir à une compagnie d’assurance, la Canada Vie, pour privatiser la gestion du programme de soins dentaires plutôt que de coopérer avec les gouvernements des provinces qui, pourtant, disposent déjà du savoir-faire opérationnel requis en ces matières.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, la semaine dernière à Montréal

Le gouvernement en attente que représente l’opposition officielle n’offre guère plus de perspective de dialogue. Le Parti conservateur du Canada s’apprête à se faire élire sans la moindre promesse ou main tendue à l’endroit des demandes traditionnelles du Québec.

Pour Pierre Poilievre, les Québécois sont des individus comme les autres ; il n’y a pas lieu de s’engager dans un dialogue d’égal à égal ou de nation à nation avec les élus de l’Assemblée nationale.

Dans les Prairies, l’unilatéralisme est au cœur de la stratégie déployée par les gouvernements de Danielle Smith, en Alberta, et de Scott Moe, en Saskatchewan. Ces provinces cultivent leur autonomie dans un esprit de défiance – sans précédent – à l’endroit du gouvernement fédéral.

En Alberta, au référendum sur la péréquation de 2021 et à la Loi sur la souveraineté de 2022 s’est récemment ajouté le projet de loi 18, dans lequel la province s’inspire du Québec pour accroître sa mainmise sur les accords conclus par les villes, les universités et les autres organismes publics avec le gouvernement fédéral. L’intention de se retirer du Régime de pensions du Canada emprunte aussi au Québec de la Révolution tranquille. À cela s’ajoute la résolution suggérant aux fournisseurs d’électricité de la province de faire fi autant que possible des règlements fédéraux sur l’électricité « propre ».

PHOTO JASON FRANSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith

La Saskatchewan n’est pas en reste avec son Saskatchewan First Act. Depuis janvier, dans le dossier de la taxe carbone, une loi interdit à la société d’État SaskEnergy de verser les taxes sur le carbone à l’Agence du revenu du Canada.

Une idée qui fait son chemin

Au Québec, le souvenir des nombreux échecs en matière de négociation multilatérale influence, encore aujourd’hui, caquistes et libéraux. Le mandat du comité Proulx-Rousseau sur l’autonomie, dont François Legault a annoncé la création plus tôt ce mois-ci, pointe vers le recours à des solutions unilatérales. Inspiré par les récentes modifications apportées à la Loi constitutionnelle de 1867 afin d’abolir le serment au roi et d’inscrire que le Québec forme une nation de langue française, le gouvernement québécois cherche à exploiter au maximum la part d’autonomie constitutionnelle qu’il peut exercer, sans avoir à solliciter l’accord du reste du Canada.

L’idée de doter le Québec de sa propre Constitution suscite de plus en plus d’adhésion. À mesure que s’éteint tranquillement l’espoir de rénover en profondeur la Constitution commune à l’ensemble de la fédération, celui de codifier unilatéralement les règles fondamentales de l’État québécois fait son chemin.

Du rapport Pratte-Cadet publié l’automne dernier au rapport Proulx-Rousseau à venir, la vision québécoise du fédéralisme ne semble plus compter sur la négociation au sein de cette fédération.

Les souverainistes québécois s’inscrivent aussi dans cette tendance à l’unilatéralisme. Ni le Parti québécois ni Québec solidaire n’ont la moindre réflexion sur la nature des liens et des relations à négocier avec le reste du Canada au lendemain d’un éventuel référendum. Le partenariat ou l’association se sont éclipsés depuis bien des années…

« Cohabitation » sans enthousiasme

Devant l’échec du fédéralisme coopératif et le déclin du souverainisme associatif, l’unilatéralisme triomphe. Ce n’est pas le clientélisme communautariste de Justin Trudeau ou l’hyper individualisme libertarien de Pierre Poilievre qui inversera cette dynamique. N’est pas Brian Mulroney qui veut !

Sans véritable réflexion sur la nature de cette union ou sur les communautés politiques qu’elle cherche à fédérer, la fédération canadienne prend de plus en plus des allures d’une « cohabitation », sans enthousiasme, où chaque ordre de gouvernement déploie sa politique, sans réelle coopération avec les autres.

Certes, cette incapacité à réfléchir politiquement aux rapports Québec-Canada n’empêchera pas chacun de nous de vivre, à sa manière, ce « fédéralisme des jours fériés » qui, chaque année, ponctue la fin des classes, les déménagements et, plus généralement, le début de l’été !

Mais, au Canada comme partout ailleurs, les problèmes non résolus ont tendance à s’accentuer. Si l’unilatéralisme est indispensable pour bousculer un fédéralisme statique, à plus long terme, le Québec ne peut faire l’impasse d’un véritable dialogue et de véritables négociations avec ses voisins et ses partenaires du Canada.

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