Dans son Calepin de l’éditeur⁠1 daté du 16 juin dernier, l’éditeur adjoint de La Presse, François Cardinal, soulignait le fait que, contrairement à un certain nombre de mes confrères, je me refusais à qualifier le Rassemblement national (RN) d’« extrême droite », préférant le désigner comme un parti de droite nationaliste, populiste, ou même national-populiste.

Il faisait par contre remarquer avec une certaine ironie (c’est de bonne guerre) que je continuais à identifier La France insoumise à l’extrême gauche. L’explication de cette contradiction apparente n’est pas simple, elle exige de quitter le débat théorique et moral dans lequel se complaît François Cardinal pour s’intéresser à ce que dit le RN et à ce que représente l’extrême droite non pas dans l’absolu, mais dans le contexte bien précis de la France.

Rien n’est moins évident en effet que ces deux mots qu’une partie de la presse française et internationale répète comme un pensum.

C’est le spécialiste des nouvelles droites Pierre-André Taguieff qui les qualifiait de « mots plastiques » servant avant tout d’« étiquette polémique » destinée à stigmatiser l’adversaire.

En effet, on a beau chercher, l’extrême droite ne représente pas un courant précis de pensée. Personne ne s’est jamais revendiqué de l’« extrême-droitisme » comme on l’a fait du communisme, du fascisme, du libéralisme, du nationalisme, du conservatisme, de l’écologisme, du féminisme et même du populisme.

C’est plutôt dans l’histoire qu’il faut en chercher le sens. L’appellation est apparue en France où elle désigna d’abord les partisans de l’Ancien Régime assis à droite de la droite dans l’hémicycle parlementaire. Cette « extrême droite » rejetait la République, voulait ramener le roi sur son trône et se qualifiait elle-même d’ultra-royaliste. Plus tard, c’est d’ailleurs Charles Maurras, fondateur de l’Action française et royaliste, qui fera le pont entre l’ancienne et la nouvelle extrême droite en apportant son soutien au régime de Vichy. Associée à l’antisémitisme, cette nouvelle « extrême droite » rêvait aussi d’en finir avec la République. La plupart du temps par la violence. Plus tard, l’extrême droite sera associée à l’OAS et à sa tentative de coup d’État destinée à régler ses comptes avec le général de Gaulle et à défendre l’Algérie française.

Peu importe ce que l’on pense du programme du Rassemblement national, l’associer au renversement violent de la démocratie libérale relève aujourd’hui du pur fantasme.

Nombre de politologues sérieux, comme Dominique Reynié et Pascal Perrineau, l’ont reconnu sans problème. Spécialiste des droites, leur collègue Jean-Yves Camus estime que le RN et Fratelli d’Italia « font partie du jeu démocratique et ne défendent pas ou plus une politique antisémite, ni même un racisme reposant sur une hiérarchie des races ». Pour le philosophe Marcel Gauchet, le programme du RN évoque plutôt les débuts du parti gaulliste, le RPR ayant d’ailleurs défendu à une certaine époque l’« immigration zéro ».

Au Québec, il est courant d’associer l’extrême droite au refus de l’immigration comme je l’ai entendu dire mot pour mot il y a peu sur les ondes de Radio-Canada.

Si l’opposition à l’immigration suffisait à vous catégoriser d’« extrême droite », on pourrait jeter dans ce fourre-tout aussi bien la sociale démocratie danoise que la droite suédoise, sans oublier le communiste Georges Marchais, le Chirac de 1991 (« le bruit et les odeurs ») et même… le général de Gaulle ! Ne craignait-il pas que son village soit rebaptisé un jour « Colombey-les-Deux-Mosquées » ?

Pourtant, rien n’y fait. Marine Le Pen a beau avoir expulsé son père du parti et déclaré que l’Holocauste était le « summum de la barbarie », le spectre du fascisme ne cesse de renaître de ses cendres. Comme s’il était devenu une drogue dure dont certains n’étaient plus capables de se passer.

On dira que l’ancêtre du RN, le Front national, a compté d’anciens collabos parmi ses fondateurs. Soit, mais on y trouvait aussi d’anciens résistants ! Quid alors de la Francisque décernée par le maréchal Pétain à François Mitterrand qui faisait fleurir la tombe du maréchal et avait pour ami un des responsables de la déportation des Juifs de France, René Bousquet ?

S’il faut absolument chercher des poux, rappelons que le nom du nouveau front uni de la gauche, le Nouveau Front populaire, n’évoque pas que la semaine de 40 heures et les congés payés. Parmi les élus du Front populaire, 90 députés socialistes (SFIO) votèrent les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 alors que seulement 36 du même parti votèrent contre. À chacun ses cadavres dans le placard !

En réalité, l’expression « extrême droite » nous en apprend plus sur celui qui la brandit que sur celui qu’elle désigne. La droite traditionnelle l’utilise pour défendre sa position de moins en moins hégémonique face aux nouvelles droites nationalistes, conservatrices et populistes. La gauche pour se peindre dans le valeureux combat antifasciste.

Emmanuel Macron n’a jamais cessé d’en jouer. On ne fera pas « croire à des millions de Français qui ont voté pour l’extrême droite que ce sont des fascistes », dit-il un jour pour affirmer le lendemain que le RN n’a jamais fait partie de « l’arc républicain ». Tout le contraire de son premier ministre, Gabriel Attal, pour qui « l’arc républicain, c’est l’hémicycle ».

Dans le même texte, mon ancien collègue du Devoir s’étonnait que je persiste pourtant à utiliser l’« extrême gauche » pour désigner La France insoumise (LFI). Sans défendre mordicus cette appellation, il se pourrait que si elle persiste ce soit parce que, de toutes les formations représentées à l’Assemblée nationale, LFI demeure la seule qui fait allusion à un changement de régime non seulement par les urnes, mais aussi grâce à la rue. Les propos de Jean-Luc Mélenchon étant souvent d’une violence extrême. Contrairement à Marine Le Pen, l’ancien militant trotskiste n’a jamais renié son passé et reconnaît puiser son inspiration auprès de modèles aussi peu démocrates que Robespierre, Trotsky, Castro et Chávez. En octobre dernier, 60 % des Français considéraient d’ailleurs LFI comme un parti qui « attise la violence ».

Force est de constater qu’en dépit de toutes ces explications, l’étiquette « extrême droite » ressemble au sparadrap du capitaine Haddock. Comme toutes les étiquettes, elle ne sert pas seulement à stigmatiser l’adversaire, elle exprime aussi le refus de comprendre l’évolution des nouvelles droites. Bref, ces deux mots servent surtout à ne pas penser.

1. Lisez « Dans le calepin de l’éditeur adjoint – Extrême droite, vous dites ? » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue