Le récent plan d’action du gouvernement du Québec pour la préservation de la langue française⁠1,2 repose sur une hypothèse alarmante : que seules les personnes dont la langue maternelle est le français peuvent réellement contribuer à l’avenir du Québec.

Au cours des dernières décennies, les craintes concernant le déclin du français et les efforts des gouvernements successifs pour inverser cette tendance ont dominé le projet de construction de la nation québécoise. Mais comment le gouvernement peut-il assurer l’avenir de la langue française s’il traite les 1,25 million de Québécois d’expression anglaise – 15 % de sa population – comme une menace existentielle pour le français plutôt qu’une force mobilisable pour protéger son avenir ?

La langue demeure évidemment essentielle à l’identité québécoise. La mission de veiller à ce que le français prospère s’avère d’autant plus impérative dans une Amérique du Nord majoritairement anglophone, où l’anglais est la lingua franca des réseaux sociaux et de la culture populaire. La quête du Québec pour préserver sa langue majoritaire trouve également des parallèles dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, où plus de 20 États, dans un contexte d’utilisation généralisée de l’espagnol, ont adopté au cours des dernières années des lois désignant l’anglais comme langue officielle.

Néanmoins, le dernier Plan pour la langue française présente, volontairement ou non, une recette qui exacerbe les sentiments d’exclusion parmi les minorités du Québec.

En effet, le plan perpétue le dogme qu’au Québec, la capacité de contribuer à la protection de la langue française est le fruit du hasard de la naissance – en fonction de la langue maternelle – et non pas quelque chose qui s’acquiert, entre autres, par l’apprentissage du français.

Cette hypothèse repose de façon évidente sur le fait que le plan s’appuie fortement sur l’encouragement de l’immigration des francophones au Québec. Malheureusement, il n’offre aucun nouveau soutien aux Québécois d’expression anglaise non immigrants qui souhaitent apprendre ou maîtriser la langue de Molière. Au contraire, il valorise le français auprès des personnes qui le parlent déjà.

De plus, le plan d’action pénalise les universités anglophones, comme McGill et Concordia, par des augmentations excessives des droits de scolarité, sapant ainsi deux des établissements les plus renommés du Québec en matière d’éducation, de même que leur réputation sur la scène internationale. Il suggère également, à tort, qu’ils sont en quelque sorte responsables du déclin de la langue française au Québec, et qu’ils « anglicisent » les populations étudiantes, puis poussent les diplômées et diplômés à travailler dans des milieux anglophones.

Cet argument ne tient toutefois pas compte du fait que de nombreux étudiants étrangers et de l’extérieur de la province parlent déjà l’anglais lorsqu’ils arrivent au Québec et qu’ils se montrent souvent désireux d’apprendre le français. Pourquoi ne pas considérer ces étudiantes et étudiants universitaires comme de futurs ambassadeurs de la province, capables de promouvoir sa langue et sa culture sur la scène internationale ?

Le véritable obstacle

Blâmer les universités anglophones, c’est aussi ignorer le véritable obstacle auquel se heurtent les diplômées et diplômés hautement qualifiés qui souhaitent vivre et travailler au Québec : l’insuffisance de programmes de formation en français sur les lieux de travail pour les aider à mieux s’intégrer dans la société québécoise.

Au lieu de montrer du doigt les universités anglophones, le Québec devrait dresser un état des lieux sur les limites de son enseignement en français auprès des locuteurs non natifs.

L’insuffisance de leur connaissance du français se maintient comme l’un des principaux obstacles⁠3 à l’entrée des Québécois d’expression anglaise sur le marché du travail dans la province, et ces derniers, ainsi que d’autres minorités linguistiques, expriment fréquemment que le Québec demeure un endroit peu accueillant pour apprendre la langue.

Prenons l’exemple d’une professionnelle de la communication d’une trentaine d’années, originaire de Floride, récemment arrivée à Montréal, et déterminée à apprendre le français. Lorsqu’elle a souhaité s’inscrire à un cours de français à temps partiel financé par le gouvernement, elle affirme avoir eu des difficultés à le faire, parce que le site internet était offert seulement en français. Incapable de comprendre les instructions, elle s’est accidentellement inscrite à un cours à temps plein, impossible à suivre en raison de son emploi à temps complet.

Plus tard, lorsqu’un fonctionnaire du gouvernement l’a appelée pour évaluer son niveau de maîtrise du français, elle déclare qu’il communiquait uniquement en français. Lorsqu’elle a tendu le téléphone à son mari québécois francophone pour qu’il traduise la conversation, le fonctionnaire a crié, pensant que le couple usait de tricherie.

Il y a aussi le cas d’un développeur de logiciels d’Ottawa, issu d’une famille franco-ontarienne. Malgré ses compétences en français, il n’a pas osé soumettre son CV aux entreprises de haute technologie francophones établies à Montréal parce qu’il jugeait qu’il ne parlait pas suffisamment bien le français. Selon lui, le Québec a créé un environnement qui lui a donné l’impression qu’il ne se sentait pas le bienvenu.

Afin de combler les lacunes en matière d’enseignement du français, le gouvernement a créé l’année dernière Francisation Québec. Cependant, le programme est caractérisé par de longs délais d’attente pour les candidates et candidats. Selon un rapport publié en mai dernier4 par le commissaire à la langue française, au 15 avril 2024, près de la moitié des quelque 100 000 personnes inscrites à des cours n’avaient toujours pas commencé à étudier la langue.

Le plan d’action doit tenir compte du fait que le système actuel ne répond pas aux besoins des personnes qui veulent apprendre le français. Il doit également contribuer à renforcer l’empathie de la population générale à l’égard des personnes en apprentissage du français, au lieu de les considérer comme des adversaires. Mais ce qui s’avère vraisemblablement encore plus important, c’est qu’il doit créer les conditions nécessaires pour que personne ne se sente exclu de la société québécoise.

1. Consultez le Plan pour la langue française 2. Lisez « Québec prévoit 603 millions sur cinq ans pour freiner le déclin du français » 3. Consultez le « 2021 Employment Survey of English-speaking Quebecers and Organizations » (en anglais) 4. Consultez le document « Évaluation du déploiement de Francisation Québec » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue