Ces femmes et ces hommes sont des athlètes dévoués à leur art, des sportifs de haut niveau et maintenant des olympiens. Ils seront 36, sur les quelque 10 500 athlètes provenant de 206 délégations, qui auront l’occasion de s’exprimer dans leur discipline sportive de prédilection cet été à Paris. Pour autant, ils n’auront ni le luxe de défiler sous leur drapeau ni celui d’entendre leur hymne s’ils parviennent à se hisser sur le podium des Jeux olympiques.

En effet, ces 23 hommes et 13 femmes formeront l’équipe olympique des réfugiés. Ils ont été sélectionnés parmi 75 candidats boursiers, sont originaires de 11 pays et accueillis par 15 comités nationaux olympiques. Il s’agit de la troisième édition de cette initiative et de la plus importante. L’esprit de cette équipe paraît conforme à l’idée que l’on peut se faire de l’olympisme, moment rêvé de trêve, parenthèse théorique dans le tumulte du monde.

Si la création de cette équipe représente une forme d’espoir, elle soulève également des questions sur les réelles motivations du CIO, qui s’est maintes fois abîmé dans les scandales et la corruption… et y voit peut-être l’occasion de redorer son blason.

Bien que la Charte olympique ait établi parmi les principes fondamentaux de l’olympisme que « [la] pratique du sport est un droit de l’homme », elle ne prévoyait aucun aménagement pour les athlètes-réfugiés. Ces derniers ont donc été exclus de ce rendez-vous sportif planétaire, relégués dans un monde interstitiel malgré les années investies pour y accéder, jusqu’à la création, en 2016, de la première équipe olympique des réfugiés. Devant son succès aux Jeux de Rio de Janeiro, le CIO a d’ailleurs de nouveau avalisé la constitution d’une équipe pour les JO de Tokyo 2020.

Or la création de l’équipe olympique des réfugiés représente une occasion exceptionnelle pour ces athlètes : celle de pouvoir compétitionner au plus haut niveau, d’aller au bout d’un rêve, mais aussi un symbole de liberté, et surtout une occasion de se débarrasser des stigmates attachés au statut de réfugié.

Car officiellement, la mise en place de cette première délégation, en 2016, réunissant 10 athlètes (4 femmes et 6 hommes), avait pour mission d’envoyer un signal d’espoir à tous les réfugiés du monde, dans un contexte migratoire particulièrement intense. En 2020, la mesure, qui en est à sa deuxième édition, s’attire même les louanges du haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, qui y voit le moyen de « montrer le côté humain de la crise mondiale des réfugiés à travers le sport »1.

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Filippo Grandi, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés

Officieusement, cependant, le portrait de cette initiative olympique est plus nuancé.

D’un côté, les athlètes réfugiés ont dû faire face à d’importants dilemmes, à commencer par celui de devoir renoncer à la représentation officielle de leurs pays d’origine. Cette décision est particulièrement lourde de conséquences pour ces sportifs qui doivent délaisser le drapeau sous lequel ils se sont entraînés toute leur vie, et finissent par porter le poids de leur histoire d’errance qui accapare parfois plus d’attention que leurs performances sportives. Cela ajoute à la singularité de leur processus de sélection – basé sur des critères distincts des autres athlètes, puisqu’ils incluent, au-delà de la performance sportive, leur statut de réfugié et le degré de représentativité de l’équipe –, laissant planer l’ombre d’une illégitimité à participer aux Jeux olympiques, et ce, malgré leurs résultats sportifs hors du commun.

De manière perverse, l’attention dont bénéficie cette équipe olympique alimente parfois l’idée clivante selon laquelle certains réfugiés mériteraient de la compassion – les meilleurs sportifs, par exemple – et pas les autres, sous-tendant qu’il faudrait donc être exceptionnel pour être traité avec dignité.

De l’autre côté, et compte tenu de son histoire, les motivations du CIO et de son président méritent d’être remises en question. On peut tout à fait se demander si ce geste visait à faire oublier les scandales de corruption et de dopage du mouvement. Tout comme certains ont souligné le fait que le CIO a attendu jusqu’en 2016 pour s’impliquer sur la question des réfugiés, alors que le phénomène n’avait rien de nouveau. Ou encore sur la portée symbolique d’une implication cantonnée au temps d’un coup de projecteur des Jeux.

En effet, le CIO est, certes, une organisation internationale non gouvernementale à but non lucratif, mais il est organisé comme une multinationale. Véritable acteur des relations internationales, il assoit son pouvoir et sa reconnaissance internationale en usant de ses engagements extrasportifs dans le monde. Il contribue à redéfinir la géopolitique globale, et façonne un monde dans lequel il ne s’illustre ni par son altruisme ni par son progressisme.

Même si, comme l’a énoncé le secrétaire général de l’ONU en 2000, les « idéaux olympiques sont également ceux de l’Organisation des Nations unies : tolérance, égalité, franc-jeu et, surtout, paix2 », les préoccupations stratégiques et politiques du CIO finissent toujours par prévaloir. Et en l’occurrence, bien qu’elle représente la résilience du sport, des athlètes et la permanence de l’espoir, l’équipe des réfugiés apporte aussi au CIO une plus-value qui dépasse les mantras de l’olympisme.

1. Lisez le communiqué de l’ONU annonçant la participation de l’équipe olympique des réfugiés aux Jeux de Tokyo (en anglais) 2. Lisez le communiqué de l’ONU, en 2000, annonçant la création de l’équipe olympique des réfugiés Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue