L’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) revient régulièrement dans l’actualité1 avec le lot d’émotions que cela suppose, surtout quand l’acte criminel a entraîné un décès. Sentiment d’injustice, de colère et d’incompréhension sont des réactions légitimes de la part des proches de ces victimes.

L’État n’a aucune obligation légale d’indemniser les victimes d’actes criminels, même si on peut parler d’une obligation morale. Cela explique qu’ailleurs au Canada, certaines provinces et certains territoires ne prévoient rien pour les proches des victimes décédées (Terre-Neuve-et-Labrador, les trois territoires) alors que certaines provinces se contentent d’offrir des services de soutien et le remboursement des frais funéraires (Ontario et Maritimes).

Le Québec, pour sa part, a mis en place un régime d’indemnisation il y a plus d’un demi-siècle (en 1972). La loi a été significativement améliorée en 2021 : augmentation et même abrogation dans certains cas du délai pour demander une indemnité, application du régime lorsque l’acte criminel a lieu hors du Québec, augmentation substantielle des indemnités, notamment les indemnités de décès.

Avant la réforme, les parents d’un enfant décédé à la suite d’un acte criminel touchaient une indemnisation totale de moins de 20 000 $ (en 2020). Aujourd’hui, la combinaison de l’indemnité de décès et celle pour frais funéraires dépasse 75 000 $, sans oublier les mesures de soutien psychologique.

Pas si mal pour un régime qui, contrairement à ceux applicables aux accidents d’automobile et du travail, n’est nullement financé par les créateurs du risque (automobilistes, employeurs), mais par l’assiette générale des impôts.

Le régime instauré en 2021 fait même mieux, en permettant à certains proches d’une victime décédée d’être compensés, en plus des indemnités de décès, de leurs propres pertes de revenus pour une durée maximale de trois ans, lorsque la preuve médicale le justifie. Auparavant, une indemnité était rarement accordée dans un tel cas, il fallait se battre devant les tribunaux et il s’agissait alors d’une indemnité – pas nécessairement viagère – où les paramètres d’évaluation étaient beaucoup plus restrictifs.

Premiers de classe, mais critiqués

Jouant sur les mots, certains font croire à ces victimes que l’ancien régime les aurait compensées à vie pour leurs pertes salariales, ce qui est faux. On va même jusqu’à affirmer que le régime d’indemnisation maltraite ces victimes : pourtant, nulle part en Amérique du Nord une indemnité semblable ne serait accordée et le régime québécois se fait donc critiquer alors que nous sommes premiers de classe.

Il y a davantage. D’une part, il est faux d’affirmer que les régimes d’indemnisation des accidents d’automobile ou du travail compensent les pertes salariales des proches des victimes décédées : on invente ici du droit. D’autre part, devant les tribunaux ordinaires où la compensation des pertes salariales des parents d’un enfant décédé est concevable, il n’existe aucun jugement québécois (et encore moins canadien) où un parent aurait été indemnisé pour une durée de plus de trois ans pour ses pertes de revenus.

L’exemple le plus généreux concerne les parents d’un enfant de 6 ans, décédé tragiquement, où les indemnités accordées à ce titre ont été de 32 777 $ (pour le père) et de 15 290 $ (pour la mère). Dans les deux cas, la durée de l’indemnisation était inférieure à trois ans et cela ne s’est d’ailleurs pas fait sans mal, les défendeurs contestant l’existence d’un lien suffisamment étroit entre ces pertes et le décès de l’enfant.

Bref, on voudrait sérieusement qu’un régime fondé sur la solidarité sociale indemnise mieux que les régimes d’indemnisation pleinement capitalisés ou que les tribunaux ordinaires ?

Ceux qui instrumentalisent la douleur – bien réelle – des victimes pour prôner une telle solution manquent cruellement de connaissances de la réalité juridique.

Le Québec consacre plus d’argent pour indemniser ces victimes que toutes les autres provinces du Canada réunies. C’est aussi le seul endroit en Amérique du Nord qui compense la perte de revenus d’un proche rendu incapable de travailler à la suite du décès d’un enfant ou de son conjoint. La réforme de 2021 a rendu notre système, déjà le plus généreux en Amérique, un des meilleurs au monde.

La fuite en avant qui consiste à demander toujours plus sans se questionner sur les divers rôles de l’État et les arbitrages qui doivent être faits au niveau de l’allocation des ressources n’est pas la solution. On devrait plutôt travailler à répartir équitablement les sommes importantes qui sont dévolues aux victimes d’actes criminels : un meilleur financement des maisons d’hébergement pour les victimes de violence conjugale ou une indemnisation à vie pour certaines d’entre elles ? Surtout, méfions-nous des spécialistes des formules à l’emporte-pièce et des demi-vérités, qui sont d’ailleurs souvent les mêmes à combattre l’existence même de ces régimes lorsqu’ils y trouvent leur intérêt.

Réfléchissons collectivement et posément à la question : jusqu’où l’État doit-il remplir son obligation morale face à ces victimes d’actes criminels ?

1. Lisez l’article « Réforme de l’IVAC – Des victimes perdront leurs prestations d’aide d’ici octobre » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue