Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’Université du Québec à Montréal.

Les instances internationales sont de plus en plus souvent le théâtre de moments historiques dans la lutte contre le changement climatique. Pas moins de quatre cours internationales ont été saisies, d’une manière ou d’une autre, de la question des obligations internationales des États face à l’urgence climatique. Est-ce que la justice internationale réussira le virage vert des États, là où de nombreuses autres initiatives ont échoué ?

En avril dernier, la Cour européenne des droits de l’homme, située à Strasbourg, a rendu un jugement contraignant contre un État, la Suisse. En vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour a conclu que l’État avait manqué à son obligation de mettre en œuvre des mesures suffisantes pour lutter contre le changement climatique.

Deux autres cours rendront dans les mois à venir des avis consultatifs (non contraignants en droit international). De l’autre côté de l’Atlantique, la Cour interaméricaine des droits de l’homme, située au Costa Rica, vient de tenir des audiences dans le cadre d’une procédure d’avis consultatif concernant le changement climatique et les droits de la personne. La Cour internationale de justice, à La Haye, est aussi saisie d’une demande d’avis consultatif au sujet des obligations des États en matière de changement climatique.

Le choix de se tourner vers les instances internationales démontre à quel point les individus et les pays plus vulnérables cherchent à pousser les États à agir. Résultat ? Collectivement, toutes ces affaires promettent de clarifier les obligations juridiques internationales des États à l’égard de l’urgence climatique… et même d’en encourager de nouvelles !

Un avis historique du Tribunal international du droit de la mer

Le 21 mai dernier, à Hambourg, le Tribunal international du droit de la mer est devenu le premier forum international à émettre un avis consultatif sur le changement climatique et le droit international1. Avant cela, malgré le rôle majeur que joue l’océan sur le climat, la relation entre le droit international de la mer et l’urgence climatique passait relativement sous le radar.

Dans un avis unanime, le Tribunal a confirmé la relation significative entre la mer et le climat, et surtout l’importance à lui accorder dans les efforts pour lutter contre le changement climatique.

La création de la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (mieux connue par son acronyme COSIS2), en 2021, a été déterminante. Cette commission a comme mission la prise de mesures collectives pour protéger et préserver le système climatique par la promotion, le développement progressif et la mise en œuvre de règles de droit international sur le changement climatique.

Dans le cadre de ce mandat, la Commission a soumis, le 12 décembre 2022, une demande d’avis consultatif au Tribunal afin de clarifier les obligations particulières des États parties à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) qui a pour but de « prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin » et de « protéger et préserver le milieu marin » face aux effets du changement climatique.

Ce tribunal international, spécialisé dans les questions du droit de la mer et l’application de la CNUDM, a conclu, entre autres, que les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère constituent une pollution du milieu marin.

Selon ce tribunal, les États parties à la CNUDM ont les obligations spécifiques de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine due aux émissions anthropiques de GES et de s’efforcer d’harmoniser leurs politiques. D’ailleurs, le Tribunal a également souligné que la CNUDM impose une obligation de diligence « élévée ».

Le recours à la justice internationale pour statuer sur les obligations des États peut-il avoir un impact réel dans la lutte contre les effets néfastes du changement climatique ?

Bien que les instances internationales ne renverseront pas les effets du changement climatique, la saisine de ces instances judiciaires apportera au moins des éclaircissements qui sont susceptibles d’influencer la conduite des États.

Cet avis historique aura probablement un impact majeur sur la compréhension des obligations internationales liées au climat et façonnera le cours de la lutte contre le changement climatique tant au niveau national qu’international.

L’avis récent du Tribunal est d’autant plus pertinent qu’il s’inscrit dans un ensemble croissant d’efforts cumulatifs afin de bien définir les obligations des États de manière très concrète en matière de climat.

Toutes ces procédures coordonnées viennent s’ajouter à la pression internationale contre l’inaction climatique, pour que de réelles actions soient enfin prises pour faire face à la menace existentielle posée par le changement climatique.

* Miriam Cohen a auparavant travaillé au sein de la Cour internationale de justice et de la Cour pénale internationale à La Haye, et a agi comme avocate devant le Tribunal international du droit de la mer.

1. Lisez l’article « The ITLOS Advisory Opinion on Climate Change » sur le site de Verfassungsblog (en anglais) 2. Consultez le site de la COSIS (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue