(Johannesburg) Les Sud-Africains se rendent aux urnes mercredi pour ce que certains appellent les élections les plus importantes depuis l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela en 1994.

Le parti de Mandela, le Congrès national africain (ANC), est au pouvoir depuis lors, mais il ne ressemble guère à ce qu’il était à l’époque : un parti de libération et d’espoir.

PHOTO ALAISTER RUSSELL, REUTERS

Cyril Ramaphosa, président du Congrès national africain (ANC)

Ayant travaillé comme journaliste à l’époque de l’apartheid, lorsque Mandela purgeait encore une peine de prison à vie et que l’ANC était officiellement interdit, j’ai vu beaucoup de changements en Afrique du Sud. La plupart du temps, pour le mieux. Mais l’amélioration ne concerne pas le parti au pouvoir.

L’ANC, actuellement dirigé par Cyril Ramaphosa, ancien dirigeant syndical respecté, comme un taureau dans un magasin de porcelaine, trébuche maladroitement d’un scandale à l’autre.

La liste des plaintes est longue et ne cesse de s’allonger. Le fournisseur d’électricité de l’État est incapable de fournir de l’électricité de manière régulière et cohérente, ce qui entraîne des coupures de courant programmées et imprévues dans tout le pays, tous les jours. Ceux qui peuvent se le permettre ont opté pour l’énergie solaire, dans un pays plus ensoleillé que la plupart des autres.

Les services de transport gérés par l’État, qu’il s’agisse de la compagnie aérienne nationale South African Airways, du réseau ferroviaire ou même des ports, ne fonctionnent qu’à un faible pourcentage de ce qu’ils étaient il y a une vingtaine d’années. La compagnie aérienne a été renflouée à de nombreuses reprises et, chaque fois, son réseau d’itinéraires est réduit au point de n’être plus que l’ombre de ce qu’il était autrefois.

Les services ferroviaires de passagers et de marchandises sont paralysés depuis des années, en partie parce qu’une grande partie des câbles électriques qui alimentent les trains ont été volés. Le déclin du réseau ferroviaire a ajouté des milliers de camions sur les routes, entraînant inévitablement leur détérioration. Les importations et les exportations par les ports prennent des mois au lieu de jours, ce qui incite certaines entreprises à utiliser les installations des pays voisins, notamment le Mozambique, plutôt que de tenter leur chance dans le plus grand port du pays, Durban.

Et la liste est encore longue : ceux qui le peuvent envoient leurs enfants dans des écoles privées, car la qualité de l’enseignement public est généralement synonyme de faibles possibilités d’emploi. Le taux de chômage en Afrique du Sud est supérieur à 40 %. Ceux qui le peuvent utilisent les hôpitaux privés, sachant que les hôpitaux publics n’ont pas toujours l’électricité, qu’ils n’ont pas toujours l’équipement adéquat et qu’ils ne sont souvent pas entretenus de manière à garantir une hygiène correcte.

Et puis il y a la criminalité. En moyenne, 75 personnes sont assassinées chaque jour en Afrique du Sud. Environ 115 personnes sont violées chaque jour. Ceux qui le peuvent se tournent vers des sociétés de sécurité privées plutôt que de faire confiance à la police.

Le souvenir de l’apartheid

Mais l’ANC a toutes les chances de l’emporter une fois que les votes auront été comptés. Il est important de comprendre l’Afrique du Sud pour comprendre pourquoi un échec aussi monumental en matière de gouvernance peut encore conduire le parti en place à se maintenir au pouvoir.

Tant qu’une masse critique de Sud-Africains se souviendra de l’apartheid, il sera difficile de convaincre nombre d’entre eux de voter contre le parti qui a apporté la libération. Pour tous les aspects négatifs que je viens d’évoquer, il existe un facteur positif d’une importance vitale. En 1994, la majorité des Sud-Africains ont reçu quelque chose qu’ils n’avaient pas auparavant : la dignité. Ils étaient des citoyens de seconde zone dans leur pays natal. C’est pour cette raison que la situation actuelle en Palestine trouve un écho si fort auprès des Sud-Africains. C’est le gouvernement sud-africain qui a traduit Israël devant la Cour internationale de justice pour génocide. Cette position rapportera également des voix à l’ANC.

PHOTO GIANLUIGI GUERCIA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Si l’ANC n’obtient pas la majorité, il est probable qu’il pourra s’appuyer sur le soutien de certains des petits partis pour former un gouvernement de coalition, estime l’auteur.

Le parti au pouvoir dispose d’un autre élément, plus important, en sa faveur : l’opposition, composée de nombreux partis, est profondément divisée. L’opposition officielle, l’Alliance démocratique (DA), est perçue par certains comme représentant les Sud-Africains blancs. La DA contrôle l’une des provinces, le Cap-Occidental, où se trouve la ville du Cap.

Au fil des ans, j’ai rencontré de nombreux Sud-Africains noirs qui déclaraient ne pas se sentir chez eux au Cap, considérant la ville comme un vestige du passé.

À l’autre extrémité de l’échiquier politique, on trouve les Combattants pour la liberté économique (EFF), dirigés par Julius Malema, un ancien membre de l’ANC qui a créé son propre parti attirant un secteur plus rural et généralement moins riche de la société. L’EFF attirera les votes de ceux qui sont devenus mécontents de l’ANC, estimant que le parti au pouvoir ne se préoccupe pas d’eux. Enfin, il existe de nombreux partis intermédiaires – certains représentent des intérêts religieux, d’autres des intérêts ethniques, et d’autres encore essaient de prendre des voix à la DA, avec une plateforme qui tente d’être inclusive, ce que l’ANC était à l’époque de Mandela.

Si l’ANC n’obtient pas la majorité, il est probable qu’il pourra s’appuyer sur le soutien de certains des petits partis pour former un gouvernement de coalition.

Pour reléguer l’ANC sur les bancs de l’opposition, il faudra une sorte de fusion de certains des partis de l’opposition les plus proches ; les égoïsmes devront être mis de côté.

L’Afrique du Sud a besoin de changement. C’est un pays fabuleux doté d’un énorme potentiel. La kleptocratie au pouvoir doit être vaincue. Cela peut prendre un peu plus de temps.

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