« Les barres ! J’ai le goût d’en rire, mais encore plus d’en pleurer », m’a écrit une lectrice à la suite d’une chronique dans laquelle j’exposais l’incroyable complexité du système fédéral qui permet de savoir quelles barres tendres doivent être taxées au pays1.

D’autres lecteurs m’ont confié avoir bien rigolé devant l’absurdité de la bureaucratie fédérale.

Danielle Dubois et Alain Rayes, eux, oscillent plutôt entre frustration et découragement.

Mme Dubois est une nutritionniste et femme d’affaires qui commercialise des collations santé. La bureaucratie de la barre tendre, elle est coincée dedans.

Vous connaissez sans doute Alain Rayes, ancien député fédéral conservateur devenu indépendant. Il tente d’aider Mme Dubois dans son combat contre la machine gouvernementale. Il a posé des questions à la Chambre des communes, multiplié les rencontres avec des fonctionnaires et des ministres.

Leurs démarches durent depuis trois ans. Vous avez bien lu. Dans ce pays, des entrepreneurs, des fonctionnaires, des députés et des ministres dépensent du temps et de l’énergie pour discuter… de barres tendres.

Comme si on manquait de vrais problèmes à régler.

Mme Dubois et M. Rayes m’ont fait réaliser que le système de taxation que je dénonçais est encore pire que je le pensais. Non seulement est-il inutilement lourd et risible, mais en plus il est illogique et profondément injuste.

Ça commence à faire beaucoup de défauts pour un seul système.

En 2020, Mme Dubois se lance en affaires. Son objectif : offrir des collations santé comme solution de remplacement aux barres bourrées de sucre et de gras trans qu’on retrouve dans les épiceries.

Son entreprise, Zenit Nutrition, mise sur des ingrédients locaux et bios. Elle troque le sucre raffiné contre du miel et du sirop d’érable québécois, remplace le shortening par du beurre d’amande. Pensez bouchées d’énergie à la camerise et au tournesol.

Le hic : selon l’abracadabrant système de classification des barres tendres de l’Agence du revenu du Canada, ses produits se retrouvent du côté obscur de la force. Ils sont taxables.

L’objectif du fédéral est pourtant de taxer la malbouffe et d’épargner les produits santé. Pour ça, les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada ont élaboré un tentaculaire système de nomenclature de la barre tendre dans lequel on retrouve la barre granola, la barre céréalière, la barre aux fruits, la barre aux noix, le muffin en barre et d’autres encore.

Une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

Or, il se trouve qu’en plus d’être d’une aberrante lourdeur, ce système ne fonctionne pas.

Zenit Nutrition, par exemple, fabrique un carré au riz entier croustillant biologique fait de canneberges séchées biologiques, de miel, de beurre d’amande et de protéines de pois biologiques. Difficile de faire plus « grano ». Pourtant, mettez la recette du produit dans la machine fédérale et le verdict sort : produit taxable.

À côté, le carré aux Rice Krispies fait de riz blanc, d’arômes artificiels, de fructose et de shortening de palme, lui, échappe aux taxes. Danielle Dubois a plusieurs exemples du genre, et d’autres entreprises se butent aux mêmes problèmes.

« C’est absurde ! Si je mettais du sucre, des gras trans ou de la farine dans mes produits, ils ne seraient pas taxés ! s’exclame-t-elle. Si je mettais des guimauves dans mes carrés au riz, je serais détaxée parce que ça deviendrait un produit de pâtisserie. »

On la comprend de bouillir. Ses collations se vendent déjà plus cher que les barres commerciales. Se voir imposer une taxe de 15 % alors que la concurrence y échappe les rend encore moins concurrentielles.

Amélie Charest, coordonnatrice de la Chaire de nutrition de l’Université Laval, s’est penchée sur les produits de Zenit. « Ce sont des produits santé, à haute valeur nutritive, qui répondent à tous mes critères à moi pour être détaxés. Je trouve ça problématique », dit-elle.

Alain Rayes a décidé de porter la cause de Mme Dubois au Parlement.

« J’essaie de choisir des combats qui touchent des citoyens, des entreprises ou des organismes de ma région, mais qui ont une portée nationale, explique-t-il. Ce qui me convainc aussi de me battre pour elle, c’est que les entreprises de cette taille n’ont pas d’association qui peut faire du lobbying. »

Tant Mme Dubois que M. Rayes sont convaincus que si le système de taxation est si tordu et donne des résultats si étonnants, c’est parce qu’il a été influencé par les grands fabricants qui ont réussi à soustraire leurs produits aux taxes.

Alain Rayes a posé trois questions à la Chambre des communes à ce sujet. Il a aussi rencontré plusieurs ministres, dont l’actuelle ministre du Revenu, Marie-Claude Bibeau.

« L’autre élément que je leur amène, c’est que le gouvernement dit qu’il veut baisser le panier d’épicerie. [En retirant les taxes], il aurait l’opportunité d’agir directement, sans devoir demander quoi que ce soit aux chaînes d’épicerie », dit M. Rayes.

La réaction ? Les politiciens et fonctionnaires qu’il rencontre conviennent que le système est insensé… mais celui-ci ne change pas.

« La bureaucratie a besoin d’un sérieux coup de barre ! », m’a écrit un lecteur, Richard Champagne. Je ne saurais si bien dire.

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