Quand j’ai rencontré la docteure Audrey McMahon récemment, elle m’a tout de suite impressionnée par son calme, son audace et sa détermination. Jeune médecin pédopsychiatre québécoise de 38  ans, elle revient d’un séjour de 14 mois avec Médecins sans frontières, à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem.

Si l’un de mes deux fils, aussi dans la trentaine, avait choisi la vie de cette jeune médecin, une vie à soigner les plus vulnérables et démunis partout sur la planète, surtout dans les zones de conflit, je ne sais pas comment j’aurais réagi. Je me mets à la place de ses parents. Mon cœur de mère poule aurait été mis à rude épreuve. On ne choisit pas le destin de nos enfants, on ne doit surtout pas les freiner dans leurs passions et dans leurs élans. On ne peut pas, on ne doit pas, juger leurs choix, aussi inquiétants ou difficiles puissent-ils être pour des parents inquiets et aimants.

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La Dre Audrey McMahon s’entretient avec Hélène David.

J’ai de la difficulté à m’imaginer au même âge qu’Audrey, dans la trentaine, vivre un semblable destin. En fait, je ne me suis jamais posé la question de partir, d’exercer une pratique en zone humanitaire. Mon avenir était de demeurer au Québec, dans ma zone de confort. Pas très courageux, me direz-vous. J’ai certainement trouvé ma façon d’aider les gens en détresse, de contribuer à la transmission par l’enseignement et la recherche, ou même par l’action politique. Or, il est déroutant d’être confronté au courage ou à la détermination que nécessitent les choix d’Audrey.

Audrey McMahon a exercé son métier dans des endroits où il manque cruellement de pédopsychiatres en sachant très bien qu’il y a aussi des besoins au Québec. « Pour faire mes choix, j’écoute ce qui m’appelle réellement, ce qui me porte et fait sens pour moi. Ce qui me semble vraiment important en ce moment, c’est la médecine humanitaire et c’est en zone de guerre que cela résonne le plus en moi […]. Le retour au Québec, ça viendra peut-être plus tard. Je ne veux pas avoir de regrets. Je veux vivre dans le vrai, dans la vérité par rapport à moi-même et aux autres. C’est ce qui me rend le plus heureuse. »

La peur m’arrête rarement. Je la regarde habituellement en face. Avec le temps, le seuil de tolérance au danger change et devient plus élevé. On s’habitue à devoir gérer le risque.

Audrey McMahon

Depuis qu’elle est toute jeune, Audrey est consciente de ses privilèges, très sensible au racisme et aux injustices. Ses choix professionnels vont au-delà du travail ; il s’agit de faire sa juste part pour l’humanité et pour une plus grande équité. À travers l’exercice de sa profession en contexte humanitaire, elle vit des expériences qui l’enrichissent encore plus qu’une pratique traditionnelle. « Je ne me laisse pas prendre par ce que je “devrais” faire, par ce que l’on attend de moi. »

Depuis son adolescence, Audrey n’a pas manqué une seule occasion de partir à l’étranger. Depuis l’âge de 17 ans, elle a voyagé dans plus de 40 pays, souvent en zone de conflit : Haïti, la Colombie, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo, l’Irak et maintenant la Cisjordanie et Gaza.

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Douille de fusil et drapeau israélien dans les décombres du poste de police de Sdérot, en bordure de la bande de Gaza.

Pas étonnant qu’elle ait rapidement, dans sa carrière médicale, rejoint Médecins sans frontières. De l’humanité, elle expérimente le meilleur et le pire. La haine et l’amour, le désespoir et la tendresse. « Savoir qu’on peut nous-mêmes être habités par la violence, et même par la haine, ça nous aide à ne pas tomber dans la déshumanisation, ça amène à plus de compassion, à une perspective plus vaste, plus juste. »

Elle précise que la distance ne change pas le lien avec ceux et celles qui sont vraiment importants pour elle. Elle connaît le sentiment de solitude, celui qu’elle a ressenti quelquefois dans les moments les plus difficiles, et qu’elle a tranquillement appris à apprivoiser.

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La Dre Audrey McMahon

Son désir à l’adolescence était de devenir avocate pour les droits de la personne et des enfants. Son modèle : Louise Arbour ! Elle a tout de même fini par choisir la médecine, en précisant qu’elle a trouvé une autre façon, par sa pratique de pédopsychiatre en terrain humanitaire, de venir en aide aux enfants vulnérables et à leurs parents.

« J’ai fêté mes 18 ans dans les Andes péruviennes. Travailler avec les enfants de la rue a été une expérience profondément formatrice, qui a certainement influencé la suite de ma trajectoire. Je me sentais comme un poisson dans l’eau. »

Audrey se sent encore assez loin d’ici, et c’est dans cette autre vie qu’elle a, pour le moment, hâte de retourner.

Elle ne voit pas sa vie comme une fuite. Au contraire, elle veut témoigner, prendre publiquement la parole sur ce qu’elle vit et voit dans ses missions. Elle repart bientôt en Jordanie, toujours avec Médecins sans frontières.

Reviendra-t-elle un jour ? Demain ou dans plusieurs années ? Peut-être, mais pour l’instant, c’est ailleurs qu’elle se sent appelée, son cœur lui signifiant que l’ailleurs est une possibilité qui est un merveilleux cadeau de la vie.

J’ai l’impression de ne pas la laisser partir seule. Je penserai souvent à elle, à cette femme sans frontières.

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