Nommée à la tête de BAnQ en juillet 2021, Marie Grégoire revient avec notre chroniqueuse sur les trois premières années de son mandat. Dans son agenda : livres, archives, numérisation et… itinérance. Notre chroniqueuse l’a rencontrée.

Il y a trois ans presque jour pour jour, la nomination de Marie Grégoire à la tête de BAnQ n’était pas passée inaperçue. L’arrivée de la commentatrice du Club des Ex à la tête de l’institution qui comprend la Grande Bibliothèque, la Bibliothèque nationale et les Archives nationales (10 sites à travers le Québec) avait suscité de vives critiques, notamment au sein de la communauté des bibliothécaires.

Quand je demande à l’ex-adéquiste comment elle a vécu cette période tumultueuse, la réponse fuse.

Eh mon Dieu… ce n’était pas plaisant, lance-t-elle. J’ai eu un choc. Humainement, c’était très difficile. Quand je faisais de l’opinion et que les gens n’étaient pas d’accord avec moi, ça allait. Mais là, on a remis en question mes compétences…

Marie Grégoire, PDG de Bibliothèque et Archives nationales du Québec

« Je ne dirai pas que je n’ai pas songé à différentes options, poursuit-elle. Mais finalement, je me suis dit : non, j’ai vraiment envie de relever ce défi. J’ai envie de mettre à contribution mon expérience d’entrepreneure et de gestionnaire, et j’espère qu’à la fin, quand je terminerai mon mandat, les gens diront : elle a fait son chemin, elle a fait avancer l’institution. »

Des dossiers de l’ombre

Marie Grégoire tient à le préciser : elle n’est pas entrée en poste avec l’intention de révolutionner l’institution, pas plus que la Grande Bibliothèque, inaugurée par Lise Bissonnette. « On ne révolutionne pas BAnQ, observe la PDG. On marche dans les pas de ceux qui nous ont précédés. »

Cela dit, elle avait du pain sur la planche : des dossiers pas très « sexy » l’attendaient sur son bureau, comme la modernisation du réseau informatique et tout ce qui touche de près ou de loin à la transformation numérique pour laquelle BAnQ a reçu des subventions importantes, ce qui lui a permis, entre autres, de faire passer le nombre de visites de son site web de 11 millions à 15 millions en un an.

L’autre dossier moins visible qui a occupé Marie Grégoire : l’entreposage. Les collections des bibliothèques grossissent, mais l’espace, lui, demeure le même.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

La PDG de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Marie Grégoire

On est les gardiens de la mémoire. On ne peut pas faire des grands ménages à la Marie Kondo, alors il faut trouver de l’espace.

Marie Grégoire, PDG de Bibliothèque et Archives nationales du Québec

S’ajoutent à cela des rencontres avec les différents ministères, des invités internationaux, des activités culturelles de toutes sortes. Ne vous inquiétez pas pour Marie Grégoire, elle ne s’ennuie pas une seule seconde. « Ce que j’aime le plus ? La diversité de mon travail », répond-elle, enthousiaste.

Il faut dire que les bibliothèques ont beaucoup évolué au fil des ans. Ce ne sont plus seulement des lieux qu’on visite pour emprunter des livres. La bibliothèque est aussi un lieu de vie (dans le jargon on dit tiers-lieu) qui joue un rôle crucial auprès de tous les groupes de la société.

Avec les nouveaux arrivants, par exemple. « La bibliothèque a un rôle à jouer auprès d’eux, affirme Marie Grégoire. Auprès des jeunes, on peut devenir un repère dans leur société d’accueil. »

Depuis le début du conflit en Ukraine, la Grande Bibliothèque a constitué une petite collection d’œuvres ukrainiennes afin que les exilés – qui espèrent retourner un jour dans leur pays – puissent garder contact avec leur culture. « C’est le genre de pont qu’on peut créer, avance Marie Grégoire. Des gens m’ont dit que le premier geste québécois qu’ils avaient posé, c’était de venir chercher une carte d’abonnement. »

La question de l’itinérance

Parmi les dossiers que Marie Grégoire ne pensait sûrement pas devoir gérer, il y a eu l’embauche d’un intervenant pour faciliter la cohabitation avec la population itinérante, une réalité avec laquelle plusieurs bibliothèques doivent composer.

BAnQ vient donc de finaliser une entente de service avec la Société de développement social (SDS) qui lui « prêtera » l’un de ses intervenants.

« On voulait avoir un intervenant social parce que les enjeux deviennent de plus en plus lourds, explique la PDG. Être bibliothécaire, c’est aller à la rencontre des gens, et partager le savoir avec eux. Mais là, on est face à des personnes plus agitées, peut-être même avec des propos violents, et ça peut parfois être dur. Cela fait en sorte que de plus en plus de gens ont peur. »

La bibliothèque de Drummondville a mis en place une approche semblable qui donne de bons résultats, note Marie Grégoire. « On le fait vraiment dans un esprit de cohabitation, précise-t-elle. Et le personnel de la Grande Bibliothèque souhaite apprendre à mieux interagir en observant l’intervenant travailler. Il va nous faire grandir collectivement. »

Un lieu de vie

Depuis la pandémie, le nombre de visiteurs à la Grande Bibliothèque a chuté de 25 %, une réalité qui force Marie Grégoire et son équipe à trouver des façons de les ramener physiquement. « On réalise que les gens viennent pour autre chose qu’emprunter un livre, souligne-t-elle. C’est vrai pour la Grande Bibliothèque, comme pour l’ensemble des bibliothèques publiques.

« Les gens souhaitent découvrir des choses, expérimenter, échanger. »

Depuis deux ans BAnQ a donc investi dans l’aménagement de lieux conviviaux : un coin salon avec des divans, un coin avec des chaises berçantes…

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

La PDG de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Marie Grégoire

On essaie de créer différents climats pour que les gens se sentent accueillis tout en conservant aussi des lieux de silence. Pour l’instant, c’est la Bibliothèque nationale, dans la Grande Bibliothèque, qui est ce lieu de silence.

Marie Grégoire, PDG de Bibliothèque et Archives nationales du Québec

À moyen terme, Marie Grégoire aimerait organiser des discussions, « sur les élections législatives françaises, par exemple », suggère-t-elle. Il y a chez elle une volonté de pousser encore plus loin l’idée d’une bibliothèque comme lieu de rencontre, d’échange et de dialogue.

Heureusement, il y a plus qu’une porte pour entrer dans cette institution qui peut en intimider plusieurs, la PDG en est consciente. Au niveau 1 de la Grande Bibliothèque, on trouve donc le FabLab, un lieu de création numérique où l’on peut emprunter une imprimante 3D, une micro-fraiseuse ou un fer à souder pour réparer ou créer quelque chose. Des techniciens sont sur place pour accompagner les usagers. C’est le genre d’activité qui permettra peut-être à quelqu’un de découvrir la littérature par un chemin détourné. Marie Grégoire y croit, en tout cas.

Un futur voisin encombrant

Je ne peux pas quitter la PDG de BAnQ sans lui parler de la menace – je ne trouve pas d’autre mot – de la construction d’un poste de transformation d’Hydro-Québec sur le terrain adjacent à celui de la Grande Bibliothèque. Je pense que je m’exprime au nom de bien des Montréalais en lui demandant : mais comment est-ce possible ?

« Ça fait partie des surprises qui m’attendaient quand je suis entrée en poste, reconnaît Marie Grégoire. C’était le jour 3 [rires]. »

Hydro-Québec ne pourrait-elle pas chercher un autre endroit ?

La PDG assure avoir posé la question « au moins 50 fois ».

« Hydro-Québec a évalué différents terrains et il n’y a pas plusieurs possibilités, ajoute-t-elle. Alors on s’est dit : OK, mettons qu’on n’a pas le choix. Maintenant, comment on fait pour que cet édifice-là se marie avec le nôtre ?

« On travaille fort pour que ça ne soit pas une verrue dans le Quartier latin, poursuit-elle. Je pense que ce message-là est très entendu à la fois par la Ville et par Hydro-Québec. »

Il reste deux années au mandat de Marie Grégoire. Elle refuse de me dire si elle en sollicitera un second.

Je lui demande si, en trois ans comme PDG, elle pense avoir confondu les sceptiques. « Il en restera toujours, répond-elle. J’aimerais bien faire l’unanimité, mais ce n’est pas possible. Mon but, c’est que BAnQ, et l’équipe de BAnQ, gagne en notoriété et en pertinence. Mais il faut accepter de vivre avec le fait qu’il y aura toujours des gens qui n’ont pas envie du projet qu’on a à proposer. Je n’y peux rien, ça fait partie de la vie. »

Qui est Marie Grégoire ?

  • Députée de l’Action démocratique du Québec dans la circonscription de Berthier à l’Assemblée nationale de 2002 à 2003
  • Fondatrice et associée dans l’agence de relations publiques TACT
  • Commentatrice au Club des Ex de 2007 à 2015
  • Nommée présidente-directrice générale de BAnQ en 2021
Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue