Désinvestir dans les entreprises d’armement pour des raisons morales ? Ça se discute. Mais ce qui est non négociable, c’est la neutralité politique de l’Université McGill dans le conflit israélo-palestinien.

C’est ce qu’affirme le recteur de McGill, Deep Saini, dans la toute première entrevue de fond accordée depuis l’installation du campement propalestinien sur les terrains de l’université, en avril.

J’avoue que je trépignais d’impatience de lui parler. Ce campement suscite des questions aussi difficiles que fascinantes sur la liberté d’expression, le respect des lois et le dialogue. Je me suis moi-même montré critique de la façon dont McGill gère la situation1. Je n’ai pas changé d’idée.

Mais pendant une heure, autour d’une grande table de bois du pavillon administratif James, le recteur a défendu ses positions et répondu à mes questions.

Ce que j’en retiens, c’est que Deep Saini fait une distinction entre la morale et la politique.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Campement installé sur le campus de l’Université McGill

« Est-ce qu’une université doit investir dans des instruments qui brisent la paix dans le monde, donc les armes ? Je suis tout à fait disposé à accueillir cette question. Discutons-en ! C’est ce que j’ai offert [aux manifestants]. Notre offre se situe au niveau moral, au niveau des principes de McGill », dit le recteur.

Le 10 juin, McGill a effectivement déposé une offre qui comprend le réexamen de la participation directe de l’université dans les entreprises qui tirent la majeure partie de leurs revenus de la production d’armes2.

Mais pas question pour le recteur de prendre la décision unilatéralement : ce serait contraire aux principes de l’université. Ce rôle, dit-il, revient au Comité du développement durable et de la responsabilité sociale. Celui-ci a déjà recommandé un désinvestissement dans les combustibles fossiles, ce qui a été fait.

Là où McGill refuse de s’engager, c’est sur le terrain politique. Or, selon Deep Saini, c’est ce que les manifestants exigent de l’université.

« De dire qu’il faut désinvestir dans toute entreprise qui fait des affaires avec Israël, c’est un problème. Parce qu’ils nous demandent de jouer le rôle d’arbitre dans un conflit international », dit M. Saini.

« Je ne suis pas le premier ministre d’un pays. Je n’ai pas un rôle géopolitique à jouer. Les universités ne sont pas des entités politiques, ce sont des entités éducationnelles », continue le recteur.

Cela n’empêche pas McGill de « permettre les discussions géopolitiques ouvertes sur [son] campus », dit-il.

« Nous sommes totalement dédié à jouer ce rôle, affirme Deep Saini. Des discussions ouvertes et parfois difficiles peuvent survenir. Mais l’un des éléments fondamentaux de ces discussions, c’est qu’elles doivent se tenir de manière pacifique et respectueuse. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le recteur de l’Université McGill, Deep Saini

J’en ai aussi appris plus sur les coulisses des négociations. McGill a toujours refusé de négocier avec des manifestants masqués. Elle ne veut pas non plus discuter avec l’organisation appelée « Students in Solidarity for Palestinian Human Rights ».

« Nous ne savons même pas qui en fait partie », dit le recteur, qui affirme que plusieurs campeurs ne font pas partie de la communauté de McGill.

Ce sont plutôt trois occupants du campement dûment identifiés comme étudiants de McGill qui ont servi d’interlocuteurs. Sept rencontres ont eu lieu avec trois membres de la direction de l’université. La dernière s’est tenue le 10 juin.

L’offre faite aux étudiants a alors été rejetée. Depuis, les ponts sont rompus.

« Ils ont totalement rejeté ce que j’estime être une offre très raisonnable, qui ressemble aux offres qui ont permis de résoudre le problème dans d’autres institutions. C’est à ce point que nous avons dit : OK, plus de discussions avec les gens du campement. Nous aurons des discussions avec les gens de la communauté de McGill à la place », dit le recteur.

Pleins gaz sur les démarches juridiques

J’ai toujours reproché à McGill d’utiliser la voie des tribunaux pour tenter de faire démanteler le campement. Pour l’instant, c’est un échec. McGill a plaidé que le campement posait des problèmes urgents de sécurité, mais la Cour supérieure a rejeté son argumentaire. Elle avait rejeté une injonction similaire déposée par deux étudiants.

Malgré le revers, McGill poursuit ses démarches juridiques.

Il me semble que dans un processus de bonne foi, McGill négocierait le démantèlement du campement en échange de concessions. C’est ce que plusieurs universités dans le monde ont fait, dont Brown et Northwestern, aux États-Unis. Négocier en demandant aux autorités de faire disparaître le campement, c’est s’attaquer au principal levier de négociation des manifestants. Essayez, pour voir, de négocier le prix d’un melon à un marchand en demandant à la police de lui arracher le melon des mains. Pas sûr qu’il vous parlera bien longtemps.

Je sais que plusieurs d’entre vous, chers lecteurs, rejettent ce point de vue. C’est aussi – sans surprise – le cas du recteur.

Je comprends le point et je suis d’accord que chaque partie doit avoir un pouvoir de négociation. Mais devrait-on laisser au campement un levier qui lui permet de commettre des actes illégaux et criminels qui sont en violation des valeurs et principes fondamentaux de McGill et de la société ?

Deep Saini, recteur de l’Université McGill

Le recteur explique que depuis le rejet de l’injonction par la Cour supérieure, les manifestants ont occupé le pavillon administratif James, où il me reçoit. Que du vandalisme a eu lieu. Que des administrateurs ont été harcelés à domicile. On s’entend, c’est inacceptable.

McGill pourrait-elle néanmoins suspendre ses démarches juridiques pour montrer sa bonne foi, quitte à les reprendre si cela ne conduit pas à un déblocage ? M. Saini me répond clairement que cette avenue n’est pas considérée.

Je persiste à penser que le recours aux tribunaux nuit à une entente négociée comme on en a vu ailleurs et a contribué à ce que la situation s’envenime à McGill. Et ne serait-ce que pour montrer qu’elle a tout tenté, il me semble que l’université devrait suspendre ses appels aux tribunaux, à la police et au gouvernement.

Je conviens néanmoins qu’entre liberté d’expression et sécurité de sa communauté, le recteur navigue dans des eaux troubles. Et que les solutions simples n’existent pas.

1. Lisez la chronique « Et si McGill négociait au lieu d’appeler la police ? » 2. Lisez la proposition de McGill sur son site Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue