Échange avec le porteur d’une idée qui bouscule. Notre chroniqueur se laissera-t-il convaincre ?

Les employés de la future usine québécoise de cellules de batteries de Northvolt se contenteront-ils de serrer des boulons pendant que la recherche et l’innovation s’effectueront en Suède ?

Je caricature, bien sûr. Mais certains observateurs craignent que les milliards que nos gouvernements déploient dans la filière batterie servent surtout à soutenir des activités manufacturières. Et qu’ils ne fassent pas grand-chose pour régler le grand problème de l’économie québécoise : son manque d’innovation.

J’ai abordé cette question dans une chronique récente1.

J’en ai depuis discuté avec Julie Beauchemin, directrice, efficacité opérationnelle, chez Northvolt. J’attrape Mme Beauchemin sur Teams dans un train alors qu’elle vient de quitter la ville suédoise de Västerås, où se trouve le laboratoire de Northvolt.

La coïncidence est intéressante puisque ce laboratoire est exactement le genre d’infrastructure de recherche industrielle que je rêve de voir au Québec. C’est là qu’on teste des idées, qu’on invente les procédés, qu’on génère de la propriété intellectuelle.

Non, le laboratoire suédois de Northvolt ne déménagera pas au Québec. Mais Mme Beauchemin m’assure que l’entreprise fera plus que du simple assemblage dans la province.

PHOTO FOURNIE PAR JULIE BEAUCHEMIN

La directrice, efficacité opérationnelle chez Northvolt, Julie Beauchemin

On veut devenir un catalyseur dans la société québécoise. On veut faire évoluer l’innovation, on veut vraiment jouer ce rôle-là.

Julie Beauchemin, directrice, efficacité opérationnelle, Northvolt

L’entreprise avance pour preuve un partenariat avec le programme Volt-Age de l’Université Concordia annoncé mardi. L’entente implique des échanges de chercheurs et de professionnels et des activités de recherche commune. L’objectif : concevoir des batteries plus vertes, plus denses en énergie et plus rapides à recharger.

« Moins d’un an après notre présence au Québec, je trouve que notre collaboration avec le programme Volt-Age est une manifestation concrète de cette volonté de pousser la recherche et de créer un bassin de talents », plaide Mme Beauchemin.

J’ai donné un coup de fil au chercheur qui dirige Volt-Age, le professeur Karim Zaghib. Il effectue de la recherche sur les batteries depuis quatre décennies. Que lui apportera ce partenariat avec Northvolt ?

« Moi, je veux faire de la recherche qui génère des retombées importantes et utiles pour la société, répond-il. On veut passer de l’idée à l’innovation, puis de l’innovation à la commercialisation et à l’industrialisation. Mais quand on est seul dans le laboratoire, on peut commettre des erreurs, on n’est pas guidé. Un gros acteur comme Northvolt peut dire : voici mes objectifs, voici mes besoins. Et nous, on peut s’y arrimer. »

Le partenariat avec Northvolt lui apportera aussi des fonds de recherche et des possibilités d’expérience industrielle pour ses étudiants. Le chercheur prévoit d’ailleurs que son équipe bondira de 12 étudiants actuellement jusqu’à 35, voire peut-être 50. Aucun montant n’a toutefois été annoncé dans le cadre du partenariat.

Mme Beauchemin affirme que d’autres ententes seront établies avec des cégeps et des universités afin de former certains des 3000 employés qui travailleront à l’usine de cellules de batteries de McMasterville.

J’ai d’abord eu l’impression qu’on était ici un brin hors sujet. Que l’entreprise Northvolt veuille contribuer à former des gens qui travailleront chez elle ou ailleurs dans la filière batterie, tant mieux pour elle. Mais en quoi cela propulsera-t-il l’innovation au Québec ?

Mme Beauchemin me trace un parallèle avec l’industrie du jeu vidéo et l’arrivée d’Ubisoft à Montréal en 1997.

« À l’époque, il n’existait à peu près pas de programmes pour les gens qui voulaient travailler là, rappelle-t-elle. Plus de 25 ans plus tard, il y a des programmes de formation à tous les niveaux. Et ce qu’on voit, c’est que ces gens n’ont pas travaillé que chez Ubisoft. Il y a des dizaines de studios qui se sont mis en place. Il y a de l’intelligence artificielle, des technologies numériques. Ça a créé un écosystème d’innovation beaucoup plus large que ce qu’on pouvait penser au départ, et c’est grâce au fait qu’on a formé des gens avec ces connaissances-là. »

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Les locaux d’Ubisoft, à Québec

C’est un point intéressant. Il reste à voir si former des opérateurs et des techniciens aura un effet semblable à celui de former des programmeurs.

Julie Beauchemin affirme que les batteries sont une technologie en plein développement et qu’on aura besoin de gens de recherche et de développement à l’usine de McMasterville, pas seulement en Suède.

« Ce qu’on a appris en Suède, c’est qu’il faut une proximité entre les chercheurs et la mise en production […] Est-ce que ce seront des chercheurs suédois qui viendront ici ? Est-ce que des gens du Québec iront se former en Suède et reviendront lors du lancement du produit ? On ne le sait pas encore », dit-elle.

Northvolt a par ailleurs réitéré son désir de s’approvisionner auprès de fournisseurs locaux, tant en matières premières qu’en équipements. « Mais il y a des standards qui vont être exigés », prévient Mme Beauchemin. Cela rejoint le message d’Investissement Québec véhiculé aux entrepreneurs québécois et que j’ai rapporté dans ma chronique précédente. Un message qui disait : préparez-vous !

Verdict ?

Il y a des éléments intéressants dans ce que rapporte Mme Beauchemin et je suis le premier à souhaiter que Northvolt et les autres multinationales de la filière batterie tissent des liens avec les chercheurs d’ici et propulsent l’innovation au Québec. Je sais toutefois qu’entre les intentions avancées par les entreprises étrangères et la réalité, il y a souvent un fossé. Dans les années 1980, le gouvernement canadien a adopté des règles sur les brevets favorables aux entreprises pharmaceutiques contre la promesse qu’elles investissent 10 % de leurs revenus en recherche et développement ici. Or, l’industrie n’a jamais respecté sa part de l’engagement. Avec la filière batterie, il n’y a pas d’exigence similaire ni même de cible à atteindre. C’est donc une profession de foi complète qu’on fait à l’égard de Northvolt et compagnie. Il me semble qu’avec les milliards publics consentis en aide financière, on aurait pu accoucher d’ententes solides au lieu de ce saut dans le vide.

1. Lisez la chronique « La filière batterie propulsera-t-elle l’innovation ? » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue