À l’occasion, Dialogue offre un espace à une personnalité pour lui permettre de faire connaître son point de vue sur un enjeu ou une question qui nous touche tous. Aujourd’hui, l’ethnologue Isabelle Picard met les projecteurs sur la Journée nationale des peuples autochtones… et les jours qui suivront.

Ça fait un moment que je n’ai pas écrit dans ces pages. Je m’étais dit : « Quand il y aura quelque chose, j’écrirai. » Mais à courir après les feux comme ça, on s’essouffle. Et le temps passe vite.

Entre le moment où j’ai écrit mon premier texte sur la situation des caribous forestiers au Québec, il y a moins de deux ans, et aujourd’hui, pendant ce court intervalle où le gouvernement provincial n’a cessé de reporter le dépôt de sa « stratégie » de sauvegarde de l’espèce, ces bêtes emblématiques sont passées de 38 à 25 en Gaspésie. Rien ne presse, semble-t-il, au pays des décideurs. Quelle histoire de notre vie en commun sur ce territoire allons-nous pouvoir raconter à nos enfants ?

Le solstice d’été, le 21 juin, est une fête universelle en partage. Au Canada, c’est la Journée nationale des peuples autochtones. Au Québec, cette célébration est si importante qu’elle a été sacrée « fête nationale » (la Saint-Jean est associée depuis longtemps au jour le plus long de l’année).

Si le soleil brille en principe pour tout le monde, nous savons bien que toutes les vies ne sont pas baignées de lumière. Il est difficile de considérer aujourd’hui qu’il n’y a pas d’ombre dans le tableau de nos enjeux sociaux.

Comme Autochtone, je suis habituée à ce qu’on s’intéresse à nous par bribes, au gré de l’actualité, à travers de minces rayons de lumière. Une fois la lumière passée, chacun retourne à ses petites affaires. Je ne blâme personne ici, il y a tellement d’enjeux d’importance. Reste qu’on a vu ça souvent. Sommes-nous dans l’ombre en ce moment ? Est-ce que nos voix autochtones sont toujours importantes ?

Cette idée d’ombre et de lumière ne vient pas de nulle part. J’entends, je lis, je vois. Je suis tombée sur une vidéo de l’historien Éric Bédard, notamment consultant dans le cadre du projet de Musée national de l’histoire du Québec. Dans cet échange télévisé où il faisait face à Marc-André Éthier, professeur en didactique de l’histoire à l’Université de Montréal, Éric Bédard résume sa perception toute négative de la façon dont il est désormais question des Autochtones dans notre société. Voici ce qu’il dit : « Il y a beaucoup de jeunes qui ont une overdose des Amérindiens » parce que, toujours selon lui, des notions de culpabilité et de mauvaise conscience accompagnent le discours à leur égard.

Selon Éric Bédard, on « leur présente les Amérindiens comme des êtres moralement supérieurs à nous ». Qui est ce nous ? Nul ne saurait dire.

Pour lui encore, les Autochtones seraient désormais présentés tels « des êtres qui avaient une vie parfaite, qui n’étaient jamais en conflit entre eux, qui étaient des écologistes parce qu’ils avaient un contact avec la nature et qui étaient des féministes […], qui n’avaient pas connu le capitalisme […], bref des êtres merveilleux qui vivaient dans le paradis. Et nous, Blancs, on est allés détruire ça… »

Or, la vidéo date de 2017, année où les Autochtones commençaient à peine à mieux faire entendre leurs voix. Que pense-t-il sept ans plus tard, alors que nos voix sont davantage libérées ?

Il y a quelques semaines à peine, ce même historien répétait que l’histoire ne s’envisageait qu’avec l’écriture et qu’« avant l’histoire, c’est la préhistoire. Peut-être que les autochtones sont un peu la préhistoire du Québec ».

Exit la tradition orale. Les peuples autochtones sont confinés au rôle d’êtres préhistoriques. Comme si rien n’était là avant l’arrivée des Européens, comme si les Premiers Peuples n’avaient pas été là pour nourrir, guérir, protéger et aider les premiers explorateurs et colons. Comme si notre vision de la politique, qui, rappelons-le, a teinté de nombreuses démocraties en Amérique, ou de la place des femmes et des aînés dans nos sociétés ou encore notre vision du monde n’avaient exercé aucune influence au Québec. Une négation totale. Un retour de 500 ans en arrière qui flirte avec la philosophie derrière la doctrine de la découverte, pourtant répudiée.

Même le premier ministre François Legault a répété « l’importance de débuter avec Champlain » pour ce qui est de ce musée. C’est tout dire.

Les Premiers Peuples ont-ils raison de s’inquiéter devant ce projet de musée ? Oui. Parce que ce qui se cache dans son ombre est porteur d’un ethnocentrisme qu’on ne veut pas voir.

Que tout le monde puisse faire sa place sous le soleil, cela ne passe certainement pas par la coûteuse mise en place d’une offensive nationaliste improvisée sous la forme d’un musée.

Pour que le soleil brille enfin pour tout le monde, cela suppose que nous puissions en voir également les reflets dans les institutions publiques censées témoigner du monde, de tout le monde.

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