Venez combler les emplois vacants que personne ne veut occuper, chers immigrants. Mais surtout, ne vous avisez pas d’avoir une vie amoureuse ou une famille. Parce que ce sont vos bras et votre tête qui nous intéressent, pas votre cœur.

C’est à peu près ce qu’a dit la ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette, au micro de Paul Arcand la semaine dernière1.

« Est-ce que c’est aussi essentiel d’avoir les conjoints de travailleurs que les travailleurs eux-mêmes ? On s’attend à ce que le fédéral prenne action rapidement pour en réduire le nombre », a dit la ministre.

PHOTO KAROLINE BOUCHER, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Christine Fréchette, ministre de l’Immigration du Québec

Ces propos sont passés comme dans du beurre. Même Paul Arcand, habituellement vif à relever l’inacceptable, n’a pas bronché en les entendant.

Ils sont pourtant révélateurs d’une vision incroyablement utilitaire et réductrice de l’immigrant. On s’attend à ce que celui-ci dépèce nos poulets dans nos abattoirs, enseigne à nos élèves dans les classes et soigne nos malades dans les hôpitaux.

Mais une fois rentré à la maison, ce travailleur immigrant ne pourrait pas serrer sa blonde ou son chum dans ses bras et lui demander comment s’est passée sa journée. Qu’il utilise FaceTime pour garder contact avec les êtres chers !

On parle de conjoints, mais il faut aussi parler d’enfants. Parce qu’on s’entend qu’un père ou une mère qui s’installe seul ou seule au Québec pour travailler n’a souvent ni le temps ni l’énergie de s’occuper des enfants. Ceux-ci restent avec l’autre parent à l’autre bout du monde.

« Dieu sait que c’est la clé de l’intégration que de venir tout seul en laissant ses enfants et son conjoint ou sa conjointe derrière », lance ironiquement Laurence Trempe, coprésidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration.

Il est vrai que le Québec a vu un bond dans les arrivées depuis que le fédéral a permis aux conjoints des travailleurs peu qualifiés d’obtenir des permis de travail. Cette mesure temporaire a été adoptée en janvier 20232.

Même si l’objectif principal est de contrer la pénurie de main-d’œuvre, Ottawa a raison de dire qu’elle contribue à améliorer « le bien-être émotionnel, la santé physique et la stabilité financière des travailleurs en gardant les familles ensemble ».

L’accueil des conjoints par le fédéral n’est pas automatique. Les conjoints des travailleurs saisonniers, par exemple, ne peuvent bénéficier d’un permis de travail. Ceux des travailleurs à bas salaire non plus, ce qui est discutable.

On comprend Québec de vouloir tempérer l’afflux d’immigrants. Le nombre de ceux qui sont entrés par le Programme de mobilité internationale, entièrement contrôlé par Ottawa, a bondi de 57 910 en 2018 à 107 615 en 2023.

Sauf que viser les conjoints des travailleurs est une mauvaise stratégie. Humainement, c’est hautement discutable. Et si c’est la crise du logement qui nous inquiète, ça aura très peu d’incidence, puisque les membres d’une même famille emménagent ensemble.

La ministre Christine Fréchette a donné un autre exemple de sa vision utilitaire de l’immigrant lorsqu’elle a affirmé pendant la même entrevue qu’il faut réduire le nombre de demandeurs d’asile qui arrivent au Québec puisque « les demandeurs d’asile ne répondent pas à un besoin du marché ».

Il est vrai qu’un Haïtien qui parvient à fuir les gangs de Port-au-Prince n’a pas toujours le temps d’obtenir un DEC en électrochimie dans l’espoir de travailler chez Northvolt avant de trouver refuge au Canada. Sauf que l’accueillir est une obligation internationale.

Contrairement aux idées reçues, la vaste majorité des demandeurs d’asile détient un permis de travail et finit par contribuer à la société.

Mme Fréchette a raison de dire que le Québec fait plus que sa part d’efforts pour accueillir les demandeurs d’asile. Elle a raison de demander au fédéral une meilleure répartition, même s’il faut bien dire que ça s’est déjà amélioré. Mais ça ne justifie pas de décrire les immigrants comme des robots simplement venus combler les besoins d’un « marché ».

Si Québec veut réduire le nombre d’immigrants temporaires qui arrivent chez nous, il existe une autre option que de briser des couples. Et pour ça, même pas besoin de cogner à la porte du fédéral.

Partout au Canada, il existe une règle qui limite à 20 % le nombre de travailleurs étrangers à bas salaire qui peuvent travailler sur un même lieu de travail. Cette limite est de 30 % pour les secteurs de la construction et de la santé.

Partout… sauf au Québec. La province a en effet demandé une exemption à ce plafond pour une longue liste de 270 catégories d’emploi. On répète : Québec est la seule province à ne pas limiter la proportion d’employés à bas salaire immigrants qu’un employeur peut embaucher. Une exemption que la province a elle-même réclamée.

C’est peut-être, après tout, parce que le Québec a hautement besoin de ces travailleurs ? Chose certaine, si le gouvernement Legault veut vraiment réduire le nombre d’immigrants temporaires qui entrent ici, il devrait utiliser les outils qui se trouvent dans son propre coffre avant de se plaindre au fédéral. Ça vaudrait mieux, en tout cas, que de demander à Ottawa de briser des familles.

1. Écoutez le segment d’émission avec l’entrevue de la ministre Fréchette à l’émission Puisqu’il faut se lever 2. Consultez le communiqué du gouvernement du Canada Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue