Ce qui est le plus triste quand on entend le premier ministre François Legault défendre son dernier retournement sur la question du troisième lien à Québec, c’est de le voir utiliser les arguments sans fondement qu’on entend depuis des années sur les radios privées de la Vieille Capitale.

Encore cette semaine, dans une longue entrevue à Patrice Roy, M. Legault a flirté avec ce message qu’on entend depuis des années maintenant : le pont de Québec est inutile puisque les camions y sont interdits et le pont Pierre-Laporte est une vieille structure qui pourrait devoir être fermée sans avertissement.

Ce qui cause un problème de « sécurité économique » puisque cela obligerait un détour par le pont Laviolette à Trois-Rivières.

Mais selon cette logique, le pont Laviolette serait lui aussi à risque, puisqu’il est un peu plus vieux que le pont Pierre-Laporte (1967 contre 1970). On n’a pourtant pas entendu de demande pressante réclamant un tunnel sous le Saint-Laurent à la hauteur de Trois-Rivières.

Mais quand on regarde l’âge des ponts au Québec, il faut se demander si, toujours selon la logique du gouvernement, on ne devrait pas lancer tout de suite un vaste chantier de réfection sécuritaire de ces infrastructures.

Pour que ça ne soit pas trop long, parlons juste pour parler des ponts entourant l’île de Montréal et l’île Jésus. Il y a le pont Galipeault (1922), le pont Honoré-Mercier (1934), le pont Jacques-Cartier (1930), le pont Victoria (1860), le pont Marius-Dufresne (1945). Sans compter une bonne dizaine d’autres ouvrages qui datent des années 1950 et 1960.

Tout cela pour dire que la question de l’âge du pont Pierre-Laporte et ses conséquences sur la sécurité économique de la région de Québec sont grandement exagérées.

Un pont bien entretenu peut durer un siècle, à moins qu’il n’ait été victime de vices de construction ou d’entretien majeurs, comme le pont Champlain qu’on a dû reconstruire à neuf.

Dans la réalité, il n’y a pas de danger clair et imminent pour la sécurité économique de la région de Québec, à moins, bien sûr, de croire à l’arrivée prochaine de Godzilla, comme le montrait la récente caricature de l’excellent André-Philippe Côté1.

Par ailleurs, il est étrange, pour ne pas dire suspect, de voir le premier ministre Legault fermer à double tour la possibilité de modifier le pont de Québec pour y permettre le passage de camions.

M. Legault a dit à Patrice Roy que la question a déjà été étudiée par le ministère des Transports et que cela est impossible. « Ça a déjà été regardé et la conclusion, c’est que ce n’était pas faisable », a-t-il dit.

Peut-être. Mais il reste que le gouvernement fédéral – qui est depuis peu le nouveau propriétaire du pont – croit le contraire, comme l’a indiqué le ministre Jean-Yves Duclos.

Il existe un désaccord entre ingénieurs sur cette question. La moindre des choses serait que chacune des parties présente ses études et qu’on en débatte publiquement.

Mais fermer la porte péremptoirement à une solution qui pourrait faire épargner des milliards de dollars aux contribuables n’est certainement pas un exemple de bonne gouvernance.

En fait, la précipitation avec laquelle M. Legault essaie de fermer à double tour ce dossier avant les vacances d’été est presque une garantie qu’on va en reparler bien plus longtemps qu’il ne le souhaiterait. C’est le signe que le gouvernement est vulnérable sur ce dossier et personne ne le sait davantage que les partis de l’opposition, qui ne demanderont pas mieux que de faire durer le plaisir.

Mais ce qui risque de nuire le plus à long terme au gouvernement de la CAQ, c’est de voir d’autres régions en train de se réveiller et de dire que, si on a autant de milliards pour un projet comme le troisième lien à Québec, il devrait bien en rester un peu pour eux.

C’est déjà le cas des résidants de la Côte-Nord, qui attendent depuis des décennies qu’on remplace le traversier à l’embouchure du Saguenay, à Tadoussac, par un pont qui leur assurerait une connexion permanente avec le reste du Québec.

Si le troisième lien est nécessaire pour le camionnage vers Québec, imaginez combien il est important pour la population de la Côte-Nord qui doit, ces jours-ci, se contenter d’un seul traversier au lieu de deux entre Baie-Sainte-Catherine et Tadoussac, avec tout ce que cela implique de coûts et de délais.

C’est d’ailleurs un magnifique exemple des ennuis que tout ce dossier du troisième lien peut causer à la CAQ aux prochaines élections.

Pour conserver quelques sièges – fussent-ils de ministres ! – dans la région de Chaudière-Appalaches, la CAQ risque d’en perdre en bien plus grand nombre dans d’autres régions du Québec, qui s’estimeront lésées.

Les mois et les mois d’obscurantisme et de tergiversations sur un projet qui ne répondait pas à un besoin réel dès le départ – ce qui a été confirmé par la récente étude de CDPQ Infra sur l’achalandage – ne seront qu’une autre preuve que ce gouvernement n’a toujours pas trouvé sa boussole.

1. Voyez la caricature d’André-Philippe Côté