« Je veux rassurer les gens : le pont Pierre-Laporte est là pour durer. […] On est corrects avec le pont Pierre-Laporte pour les prochaines décennies. »
Qui sécurise ainsi les Québécois sur le fait qu’on n’a pas besoin de construire un nouveau pont Québec-Lévis pour les camions de marchandises ?
Incroyable, mais vrai, c’est Geneviève Guilbault, ministre des Transports et de la Mobilité durable.
La ministre a fait ces déclarations en avril 2023, quand le gouvernement a décidé d’abandonner le 3e lien autoroutier.
Québec a (encore) changé d’idée dans ce dossier la semaine dernière, annonçant son intention de construire un 3e lien Québec-Lévis. Le gouvernement reconnaît que l’achalandage ne justifie pas le projet. Or, il avance une nouvelle raison : la « sécurité économique ».
Actuellement, seul le pont Pierre-Laporte permet le passage des camions de marchandises entre les deux rives à l’est de Trois-Rivières. Québec considère qu’il faut un nouveau lien permettant le passage de ces camions au nom de la « sécurité économique » de l’est du Québec, s’il arrivait quelque chose au pont Pierre-Laporte, qui aura 54 ans cet automne.
Les ponts sont généralement construits pour durer entre 75 et 100 ans1. Le pont de Québec a 104 ans et est encore bon pour des décennies.
Alors, est-ce une bonne idée de dépenser des milliards pour un nouveau pont au nom de la « sécurité économique » ?
Voyez ce que la ministre Guilbault avait à dire au sujet de la sécurité et de la durée de vie des ponts à Québec en avril 2023, au moment d’expliquer l’abandon du 3e lien autoroutier :
En ce moment, on met beaucoup d’argent sur l’entretien du pont Pierre-Laporte. […] On a un système d’inspection et d’entretien très rigoureux […] et on va pouvoir le maintenir pendant encore quelques décennies.
Geneviève Guilbault, ministre des Transports, en avril 2023
« En même temps, un jour, probablement qu’on ne sera plus ici, vous et moi, mais un jour, ce pont-là ne fonctionnera plus, ça, c’est vrai. Un jour, il va falloir faire un nouveau lien de remplacement, au minimum, du pont Pierre-Laporte. »
Questionnée sur le transport de marchandises sur le pont Pierre-Laporte, la ministre répondait ceci : « En ce moment, on est corrects avec le pont Pierre-Laporte pour les prochaines décennies. On rénove le tunnel Hippolyte-La Fontaine pour 40, 50 ans de plus. Avec la technologie puis les moyens d’aujourd’hui, tu es capable d’augmenter la durée de vie des ponts, sans pour autant qu’ils deviennent éternels. »
Ce jour-là, elle a aussi dit : « De toute façon, les véhicules lourds étaient déjà écartés pour le futur tunnel autoroutier. Il y avait des enjeux de sécurité importants, des coûts très importants. Alors, de toute façon, il n’y aurait pas eu de camions. »
Un an plus tard, le gouvernement Legault fait volte-face et annonce qu’il construira un 3e lien.
Voici ce que les ténors du gouvernement ont dit jeudi dernier :
Le premier ministre François Legault : « CDPQ Infra nous dit qu’il n’y a pas l’achalandage ou les gains de temps suffisants. Mais le rapport [de CDPQ Infra] nous rappelle que le pont Pierre-Laporte, c’est le seul lien autoroutier à l’est de Trois-Rivières qui peut accepter la charge des camions. On rappelle qu’il y a 10 500 camions par jour qui passent sur le pont Pierre-Laporte. On rappelle aussi que le pont Pierre-Laporte a été construit il y a 54 ans. Et donc, il y a un risque économique. […] Plusieurs groupes et citoyens ont aussi mentionné ce risque-là. »
Contrairement à ce que dit M. Legault, CDPQ Infra ne conclut pas qu’il y a un risque économique, mais indique que des groupes à Québec lui ont mentionné leur « préoccupation » que toute réduction de capacité sur le pont Pierre-Laporte aurait des impacts sur la « vitalité économique » des régions.
CDPQ Infra n’a pas étudié cette question, qui dépasse son mandat. Et précise que parmi les groupes préoccupés, certains suggèrent de construire de nouvelles infrastructures, d’autres, « de sécuriser et d’optimiser les infrastructures existantes ».
La ministre Geneviève Guilbault : « Il y a une question de sécurité économique et commerciale. […] Il n’y a pas d’autre solution que le pont Laviolette si le pont Pierre-Laporte devait fermer éventuellement pendant longtemps, ce qui n’est pas impossible. On ne le souhaite pas, ce n’est pas supposé arriver parce qu’on a un plan […] d’entretien très scrupuleux, mais si jamais ça devait arriver, ce serait infernal et catastrophique. »
La ministre rappelle aussi qu’on « vit » actuellement les « sagas » du tunnel La Fontaine, des ponts de l’Île-aux-Tourtes et de l’île d’Orléans.
Changer d’idée, en soi, n’est pas un défaut. Mais quiconque fait volte-face à répétition mine sa crédibilité.
Alors, qu’est-ce qui s’est passé entre 2023 et 2024 ?
Y a-t-il eu un commencement de preuve que l’état des ponts à Québec se dégrade plus rapidement ? Non.
La durée de vie des ponts à Québec a-t-elle diminué de façon subite ? Non.
En revanche, entre avril 2023 et juin 2024, la CAQ a dégringolé d’environ 40 % à 24 % dans les intentions de vote. La majorité de ses députés dans la région de Québec-Lévis perdraient leur siège si des élections avaient lieu demain. Et le 3e lien est populaire auprès de beaucoup d’électeurs de cette région.
La « sécurité économique » du 3e lien est un argument bidon, que Geneviève Guilbault avait elle-même démoli en avril 2023.
Dépenser des milliards pour un nouveau pont au nom de la « sécurité économique » alors que les deux ponts à Québec répondent aux besoins actuels, c’est l’équivalent de jeter nos fonds publics à la poubelle.
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