La France a adopté un plan anti-prostitution en vue des Jeux olympiques de Paris. À quelques jours du Grand Prix de Formule 1 du Canada, qui fait resurgir chaque année le débat sur la prostitution, notre chroniqueuse s’est entretenue avec la ministre française déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé. Elle a trouvé dans la loi française quelques bonnes idées qui devraient nous inspirer.

En 2016, la France a adopté une loi abolitionniste qui pénalise les clients de la prostitution et reconnaît les travailleuses du sexe comme des victimes.

« La loi de 2016 affirmait clairement que notre vision était abolitionniste, qu’il n’y avait pas de fatalité à ce que les corps des femmes – car ce sont principalement des femmes – soient à la disposition des hommes », précise la ministre Aurore Bergé, qui a pris la parole (en virtuel) dimanche dernier dans le cadre du « quatrième congrès mondial pour mettre fin à l’exploitation sexuelle des femmes et des filles » qui se tenait à Montréal.

Dès le début de notre entretien téléphonique, la ministre française souhaite remettre en question le mot « client ».

« Le terme n’est pas toujours très bien choisi, souligne-t-elle. Les associations en France parlent plutôt de prostitueur, ce qui, à mon avis, reflète mieux l’impact que ces hommes qui achètent des actes sexuels ont sur les femmes, sur leur vie et sur leur corps. »

Ces « prostitueurs » risquent donc une amende pouvant aller jusqu’à 1500 euros (3000 en cas de récidive) et une peine de prison si la personne en situation de prostitution est mineure.

Aider à s’en sortir

Ce que je trouve particulièrement intéressant dans l’approche française, c’est qu’on ne fait pas que punir. On offre un programme qui accompagne ceux et celles qui souhaitent quitter le monde de la prostitution.

« On est les seuls au monde à avoir créé une allocation dédiée pour accompagner les personnes en situation de prostitution à en sortir, ce qu’on appelle parcours de sortie de prostitution, explique la ministre. En clair, ça veut dire que, dans chaque département, il y a des associations agréées par l’État qui présentent le dossier de personnes qui souhaitent être accompagnées. C’est un accompagnement global, c’est-à-dire social, médical et financier. Quand il n’y a plus de revenus, il faut bien qu’ils arrivent à vivre ou à survivre de manière transitoire avant qu’on puisse les accompagner, y compris pour une réinsertion professionnelle. »

PHOTO LOÏC VENANCE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Aurore Bergé

« Pour des personnes en situation irrégulière, ajoute Aurore Bergé, ça peut aussi conduire à une régularisation de leur situation et de leurs titres de séjour. »

Depuis la mise en place de ce programme d’accompagnement, en 2021, environ 1000 personnes en ont profité chaque année.

Du côté des « prostitueurs », plus de 2000 personnes ont été judiciarisées en 2023 et, de ce nombre, on compte environ 1200 condamnations pour proxénétisme.

Une panique morale, vraiment ?

L’approche abolitionniste ne fait pas l’unanimité chez les travailleuses du sexe. On a pu le constater samedi dernier, sur la place Émilie-Gamelin, lorsque 150 personnes participaient à la Marche des survivantes « pour mettre fin au système prostitutionnel » en même temps qu’un plus petit groupe revendiquait la décriminalisation du travail du sexe. Deux groupes bien intentionnés, deux façons de voir les choses…

Le groupe de travailleuses du sexe montréalaises estime qu’on exagère lorsqu’on affirme que le travail du sexe et la traite d’êtres humains augmentent à l’approche de grands évènements sportifs.

Je n’ai pas lu toutes les études citées par les anti-abolitionnistes au fil des ans, mais je me rappelle par contre qu’en 2013, un reportage de La Presse avait attiré l’attention sur un terrible phénomène : à l’approche du Grand Prix, le personnel des centres jeunesse de la région montréalaise anticipait une augmentation des fugues de jeunes filles. Les proxénètes recrutaient pour « répondre à la demande »…

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

En 2013, un reportage de La Presse avait attiré l’attention sur un terrible phénomène : à l’approche du Grand Prix, le personnel des centres jeunesse de la région montréalaise anticipait une augmentation des fugues de jeunes filles.

Je ne suis pas d’accord avec celles qui parlent de « panique morale » quand on sonne l’alarme à l’approche du Grand Prix. On peut défendre les droits des travailleuses du sexe tout en voulant protéger les personnes vulnérables, particulièrement les jeunes. Personnellement, je vois dans les lois abolitionnistes un désir de donner les outils à celles et ceux qui souhaitent s’en sortir.

Par contre, je suis d’accord avec les travailleuses du sexe qui disent que plus leurs activités sont stigmatisées, plus elles auront tendance à se cacher, ce qui les rend encore plus vulnérables.

Je reconnais aussi que le mot « victime » est controversé. Quand on parle de mineures, oui, on parle de victimes. Mais il y a des femmes qui pratiquent ce métier en toute connaissance de cause. Ces femmes ne se considèrent pas comme des victimes.

Aurore Bergé se dit très consciente des critiques à l’endroit de l’approche abolitionniste française. « La vision qu’on porte dans notre pays – même si je sais qu’elle peut faire débat dans d’autres –, c’est de considérer les personnes en situation de prostitution comme des victimes d’abord, affirme-t-elle. À chaque fois, il y a une variable qui est toujours là, quel que soit l’âge ou la situation de la personne : la vulnérabilité et la précarité économique, sociale et/ou psychologique. On parle de parcours de vie qui ont été heurtés, de personnes qui, dans l’enfance, ont vécu des violences sexuelles. »

« Il y a toujours une vulnérabilité qui conduit les personnes à entrer dans le système prostitutionnel, poursuit la ministre. Cette vulnérabilité peut aussi être statutaire, par exemple, lorsque la personne se trouve en situation irrégulière sur le territoire français. C’est le point de départ. »

Défendre des valeurs

Si vous visitez un des sites olympiques français cet été, il y a donc des chances que votre regard croise la grande campagne d’affichage à laquelle participent des hôteliers et des transporteurs « qui ont accepté de manière bénévole et très volontaire de travailler avec nous, ce qui n’était pas une évidence », précise Aurore Bergé, qui a présenté sa stratégie anti-prostitution aux Français en mars dernier. L’idée n’est pas de « gâcher la fête », ajoute la ministre, mais bien de profiter des Jeux olympiques de Paris pour faire la promotion de valeurs chères à la France comme l’égalité entre les sexes ou les droits des homosexuels, encore violés dans plusieurs États.

À Montréal, cette semaine, vous verrez peut-être passer un des messages de la campagne « Un trop grand prix pour les femmes et les filles » qui se déploie sur les abribus numériques et les réseaux sociaux à l’approche du Grand Prix. Vous croiserez peut-être un kiosque de sensibilisation dans une station de métro de Longueuil ou de Laval. Je trouve que cette campagne a sa raison d’être.

Mais j’aimerais qu’on aille plus loin et qu’on s’inspire de la France pour développer des programmes d’accompagnement pour ceux et celles qui souhaitent s’en sortir. Des gestes concrets plutôt que des paroles qui s’envolent.

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