Quand des étudiants ont commencé à installer des campements propalestiniens autour de nos universités, j’ai pensé : « ouf, ça sera pas long avant qu’une partie du commentariat leur tombe sur la tomate ». Ça a pris, finalement, un moment.

Pour des raisons que j’ignore, ce milieu d’habitude si rapide sur la détente semblait prendre son temps. Peut-être lui avait-on demandé d’éviter ce sujet complexe et sensible ? Je ne sais pas. Mais je sais que quand les commentateurs se sont finalement lâchés lousses, ils ont tapé exactement là où on pouvait les attendre : sur la jeunesse des manifestants.

Les récriminations profondes de ces commentateurs logeaient ailleurs, elles avaient des racines politiques et idéologiques, mais l’angle d’attaque ne laissait rien à l’interprétation. On ciblait directement l’âge des occupants, et tout ce qui lui est associé presque quotidiennement dans cette presse. Sa paresse et son exigence, son manque de culture et de reconnaissance, sa pusillanimité, sa propension à être offensé, son égocentrisme, la liste est longue et régulièrement détaillée par des gens qui tiennent pour acquis leur supériorité morale et intellectuelle sur cette génération trop gâtée.

La jeunesse a toujours été un excellent bouc émissaire à qui faire porter le poids de nos insécurités face au changement, je veux bien. Mais comment certains d’entre nous ont-ils pu devenir à ce point décomplexés dans leur mépris pour nos enfants ?

Encore cette semaine, quand est venu le temps de dénoncer d’éventuelles réformes qui abaisseraient (une fois de plus) le niveau des exigences en grammaire et en orthographe, qui s’est pris le coup de batte en arrière de la tête ? Les établissements ? Les centres de services scolaires ? Les gouvernements successifs qui n’ont cessé de baisser la barre pour pouvoir se féliciter d’avoir un haut taux de diplomation ? On pourrait croire, mais non, ce sont les jeunes qui ont fini par être montrés du doigt, les jeunes qui menaceraient de fendre en deux s’ils étaient confrontés au moindre défi éducatif.

Ainsi, on houspille d’un bord leur supposée fragilité, mais on s’irrite dès qu’ils se mobilisent, surtout parce qu’ils ont la fâcheuse habitude de ne pas le faire comme on considère qu’ils le devraient. Rappelons-nous un moment les réactions de certains commentateurs au printemps érable. Ça convulsait ferme, dans les journaux comme à la radio, à tel point que je m’étais demandé, à l’époque, ce qui terrifiait tant ces gens dans la colère des jeunes. Parce qu’à un certain moment, seule la peur peut expliquer une réaction aussi viscérale.

La peur, ou la honte. Ici, je ne peux parler qu’en mon nom, mais je sais que c’est la honte qui motive tous mes commentaires acides à propos de la jeunesse. Au fond, je me trouve poche de ne pas être en train d’essayer de changer le monde, même avec maladresse, même en tournant les coins ronds, parce que mon idéalisme m’empêche de tenir compte des nuances et que mon feu refuse le compromis. Qui sommes-nous, du haut de notre confort et de notre résignation face aux mille indignités de la vie, pour juger ceux qui ruent dans les brancards ?

Je sais qu’il y a des jeunes paresseux, des jeunes profiteurs, des jeunes abrutis et sans culture, des hédonistes et des douchebags, des tiktokeurs qui n’utilisent leur influence que pour propager des propos misogynes et des instagrammeuses qui glorifient la superficialité.

Je sais que beaucoup confondent offense et indignation, que plusieurs tiennent trop à des diagnostics d’anxiété glanés sur l’internet et qu’ils n’ont pas la couenne dure, mais voilà : ils ne veulent pas avoir la couenne dure, et nous trouvent un peu caves de nous féliciter d’être capables d’en prendre.

Et encore, je trouve que cette génération censée se « rouler en boule » à la moindre contrariété encaisse pas mal plus que ses détracteurs voudraient le croire. Au-delà du fait que, contrairement aux espoirs ardents de ceux qui pensent leur faire du tort en les diminuant, ils soient foncièrement indifférents à l’opinion de leurs aînés, ils ont la sagesse de ne pas trop embarquer dans de stériles combats de coqs intergénérationnels. Pour un « OK boomer » à la résonance démesurée, combien de haussements d’épaules ?

Ce n’est pas de l’apathie, ni même un désengagement tel qu’on l’entend quand on veut les dénigrer. Ils ont autre chose à faire, et non, ce n’est pas de regarder leur fil Instagram en se demandant à propos de quoi ils pourraient se plaindre. Ils sont en quête de sens.

Ils grandissent dans une société où le flou est en train de l’emporter sur la rigidité des repères d’autrefois. Un flou dont ils ne sont nullement responsables, mais qui va constituer le territoire dont ils vont hériter. Alors ils veulent donner un sens à ce flou, et un sens à leurs actions. Le moins que l’on puisse faire serait de respecter leur démarche, et de les aider à se relever quand ils s’enfargent et se trompent, plutôt que de multiplier les croche-pieds.

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