À chaque début de saison estivale, le débat revient inévitablement : paie-t-on trop de taxes sur l’essence ?

Cette année, le chef conservateur Pierre Poilievre demande justement au gouvernement Trudeau de suspendre toutes les taxes fédérales sur l’essence pour l’été.

« Les Canadiens ont besoin d’une pause plus que jamais. Peut-il [M. Trudeau] mettre de côté son idéologie cinglée [wacko] suffisamment longtemps pour donner une pause aux Canadiens ? », a dit M. Poilievre cette semaine avec sa subtilité et sa politesse habituelles.

« Baisser les taxes sur le carburant ? Je pense qu’il faudrait les monter, s’il faut faire quelque chose », a plutôt dit le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec, Pierre Fitzgibbon, il y a deux semaines.

Lequel des deux Pierre a raison : Poilievre ou Fitzgibbon ?

Si on se base sur les faits, c’est Pierre Fitzgibbon.

Au Canada et au Québec, les taxes sur l’essence ne sont pas assez élevées. Surtout si on les compare aux autres pays de l’OCDE.

La Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke a recensé les taxes sur le carburant dans 31 pays et États de l’OCDE1. Elle a converti toutes les taxes en dollars canadiens en date de janvier 2023.

À 29 cents le litre (taxes fédérale et provinciale incluses), le Québec est le troisième État où les taxes sur l’essence sont les moins élevées. Sur 31 États !

À 19 cents le litre, l’Ontario est le deuxième endroit où les taxes sur l’essence sont les moins élevées.

Seuls les États-Unis taxent moins l’essence que nous. À 17 cents le litre, ils sont des extraterrestres fiscaux.

En moyenne, les 31 pays de l’OCDE répertoriés par la Chaire taxent l’essence à hauteur de 68 cents le litre. C’est plus que deux fois les taxes au Québec et 3,6 fois plus que celles en Ontario.

Neuf pays, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Italie, ont une taxe spécifique sur le carburant à plus de 80 cents le litre. Le gouvernement du Canada impose une taxe sur le carburant de 10 cents le litre. En comptant la taxe sur le carburant, la TPS et la taxe sur le carbone, Ottawa impose l’essence à environ 35 cents le litre. Si Pierre Poilievre traite Justin Trudeau de wacko à cause de 35 cents le litre, je n’ose pas imaginer comment il qualifierait Olaf Scholz, Rishi Sunak, Emmanuel Macron ou Giorgia Meloni…

Pierre Fitzgibbon avait donc raison de dire, dans un élan de franchise, qu’il « faudrait monter » les taxes sur l’essence, pas les diminuer.

Malheureusement, ce n’est pas la politique du gouvernement Legault, qui a pris l’habitude de chouchouter les automobilistes. Le gouvernement Legault « n’a aucunement l’intention de hausser la taxe sur l’essence », s’est empressé d’ajouter le ministre Pierre Fitzgibbon après sa déclaration initiale. C’est vous dire à quel point la taxe sur l’essence est un sujet sensible à la CAQ.

Dommage, car il y a d’excellentes raisons d’augmenter nos taxes sur l’essence.

D’abord, des taxes sur l’essence plus élevées fourniraient un incitatif financier aux citoyens pour se tourner vers des moyens de transport moins énergivores (auto électrique, transport collectif…). Mais encore faut-il leur offrir ces options.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Des taxes sur l’essence plus élevées fourniraient un incitatif financier aux citoyens pour se tourner vers des moyens de transport moins énergivores.

Ensuite, elles feraient en sorte que les automobiles contribuent à payer une plus grande partie des investissements publics dans les routes. Actuellement, l’entretien, la réparation et la construction de routes coûtent plus cher que les revenus générés par les taxes sur l’essence ; les automobilistes paient aussi des impôts qui contribuent à payer les routes.

Finalement, en réalité, nos taxes sur l’essence diminuent chaque année sans qu’on s’en rende compte à cause d’un phénomène que vous connaissez bien : l’inflation.

Le problème, c’est que les taxes sur l’essence ne sont pas indexées automatiquement au coût de la vie.

Le fédéral n’a pas augmenté sa taxe sur l’essence, à 10 cents le litre, depuis 1995. Or, s’il l’avait indexée au rythme de l’inflation, cette taxe serait de 18,35 cents aujourd’hui.

Au Québec, la taxe sur le carburant, à 19,2 cents le litre, n’a pas été indexée depuis 2013. Si elle l’avait été, elle atteindrait aujourd’hui 24,63 cents le litre.

Quand on y pense, en dollars réels, les Canadiens payaient plus cher en taxe fédérale sur l’essence en 2014 sous le gouvernement Harper – dont M. Poilievre était l’un des ministres – qu’aujourd’hui sous le gouvernement Trudeau.

Au total, les taxes représentent environ 35 % du prix de l’essence à la pompe. En plus des taxes spécifiques sur le carburant, vous payez aussi les taxes de vente et la contribution au Marché du carbone du Québec, qui tient lieu de taxe carbone. La contribution au Marché du carbone est appelée à augmenter avec le temps, et probablement beaucoup plus que l’inflation.

Il est grand temps de hausser nos taxes sur le carburant, et aussi minimalement de les indexer. Comme on indexe les tarifs gouvernementaux, les crédits d’impôt, les tables d’imposition des contribuables.

Le professeur Luc Godbout, titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, et Michaël Robert-Angers, chercheur à la Chaire, plaident d’ailleurs pour l’indexation automatique des taxes sur le carburant. La Suède, les Pays-Bas, l’Australie et 24 États américains indexent déjà leur taxe sur le carburant, rappellent-ils dans un article publié récemment dans Options politiques2.

Ils concluent qu’indexer les taxes sur le carburant « constituerait donc un geste plein de sens ».

On pourrait même dire que c’est plein de « gros bon sens », pour reprendre le slogan politique de Pierre Poilievre.

1. Le tableau de l’étude de la Chaire comptait 29 pays et le Québec. Nous avons ajouté un 31e État, l’Ontario (en incluant la taxe fédérale), qui était dans un autre tableau de l’étude.

2. Lisez le texte de Luc Godbout et Michaël Robert-Angers Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue