Améliorer un système et le réformer sont deux actions très différentes, un peu comme rénover et reconstruire. Des améliorations ponctuelles risquent même parfois de nous faire oublier que le problème fondamental auquel on doit s’attaquer reste entier. C’est ce qui se produit présentement avec la ministre des Affaires municipales et la fiscalité municipale.

Vendredi dernier, lors des assises de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), Andrée Laforest a répété qu’avec l’adoption du projet de loi 39, elle avait fait une vraie réforme de la fiscalité municipale. Dans son discours, elle a même espéré que votre humble serviteur en soit satisfait.

Je ne le suis pas.

Rendons d’abord à César ce qui lui appartient. La ministre a bel et bien amélioré la fiscalité des villes. La nouvelle loi permet aux municipalités de taxer les logements vacants, ajoute de l’agilité au régime général de taxation foncière et, surtout, pérennise le transfert aux villes des sommes générés par la croissance d’un point de la TVQ⁠1. Alors, où est le problème ?

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest

Quand on rénove le rez-de-chaussée sans toucher aux fragiles fondations, la maison n’est pas plus solide. Faisons un peu d’histoire et donnons quelques chiffres.

Commençons par le plus évident : depuis des décennies, les responsabilités des villes ont changé radicalement, le plus souvent à l’initiative des autres gouvernements. Aujourd’hui, elles sont les principaux diffuseurs de culture, les loisirs ont été municipalisés tout comme le développement économique local. Les programmes québécois de santé publique, l’accueil des immigrants et la lutte contre l’itinérance dépendent maintenant en partie des villes.

Si ces nouvelles responsabilités pèsent lourd sur les épaules des contribuables fonciers, les anciennes responsabilités pèsent plus encore.

Hier, les villes ramassaient les déchets et se contentaient de les enterrer. Aujourd’hui, elles doivent faire du compostage ainsi que du recyclage résidentiel et industriel, ouvrir des écocentres, construire des infrastructures vertes, favoriser le réemploi, appliquer des normes plus sévères partout, etc. Tout cela est positif, mais coûte extrêmement cher.

En 1980, les services policiers traitaient un cas de violence conjugale en moins d’une heure. En 2011, il fallait entre 10 et 12 heures pour s’occuper du même cas. Pourquoi ? Parce que la police accompagne mieux les victimes, fait des liens avec les organismes communautaires, assure nombre de suivis, etc. C’est un progrès important et nécessaire, mais il en coûte de 10 à 12 fois plus cher à la Ville. L’évolution des coûts est semblable pour les cas de santé mentale.

Les nouvelles normes en matière d’incendie ont, elles aussi, fait exploser les dépenses municipales. Là aussi, c’est positif, il y a moins de morts.

Les bibliothèques prêtaient jadis presque uniquement des livres. Aujourd’hui, sur tout le territoire québécois, elles sont de vraies maisons de la culture.

En 1961, les villes s’occupaient de 30 % des infrastructures publiques, tous gouvernements confondus. Aujourd’hui, selon la source choisie, elles doivent entretenir (et adapter aux changements climatiques) entre 58 % et 78 % de ces mêmes infrastructures⁠2. J’ajouterais que les villes doivent dorénavant payer pour les terrains des écoles du ministère de l’Éducation. Cette décision, absurde à tout point de vue⁠3, représente à elle seule des centaines de millions d’obligations supplémentaires pour les municipalités⁠4.

La nature même de la municipalité a changé : elle n’est plus là pour offrir des services à des propriétaires, mais à toute la population.

Les municipalités du Québec ont donc changé radicalement, alors que leur fiscalité est restée la même. Résultat des courses ? La taxe foncière, dont les villes dépendent à 70 %, ne répond plus à la demande.

Toutes les villes ont un déficit d’entretien de leurs infrastructures, un déficit d’adaptation aux changements climatiques, un déficit de construction de nouvelles infrastructures (notamment les bibliothèques), un déficit en infrastructure de transports en commun et de transport actif, etc. Tous ces déficits ont leurs équivalents dans les budgets d’exploitation. Contrairement au gouvernement du Québec et au gouvernement fédéral, les villes ne peuvent absolument pas se permettre de baisser les impôts.

La fiscalité municipale est brisée et un phénomène appelé « dématérialisation de l’économie »5 empire encore les choses. De nos jours, de plus en plus de produits sont inventés, vendus et consommés de façon numérique. Selon l’UMQ, juste en 2016, l’expansion du commerce électronique aurait fait disparaître plus de 2000 commerces au Québec, privant les villes de 3 milliards en valeur foncière taxable. La fiscalité municipale, déjà inadéquate, s’effrite donc chaque année et la tendance est lourde.

Devant pareil contexte, les actions de la ministre ne représentent absolument pas une réforme de la fiscalité municipale. Nous pourrons parler de réforme quand nous aurons revu le « qui fait quoi » et le « qui paie quoi » entre les ordres de gouvernement et quand les ressources financières des villes correspondront enfin à leurs responsabilités. Pas avant.

1. Lisez « Québec permet aux villes de taxer les logements vacants et sous-utilisés »

2. Libérer les villes. Pour une réforme du monde municipal. Éditions XYZ, 2023. L’auteur est votre serviteur.

3. Vendredi, à l’UMQ, la mairesse de Saint-Jean-sur-Richelieu me rappelait que, pour payer pour une école qui ne relève pas d’elle, sa ville (l’État) dépensera des millions pour acheter un terrain à Hydro-Québec (l’État), pour ensuite le céder au centre de services scolaire (l’État). Une maison de fous.

4. Lisez la chronique « Les effets d’une décision de coin de table » 5. Lisez « L’économie numérique plombe les revenus des villes québécoises » sur le site du Devoir Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue