Si vous lisez ce texte – à moins que quelqu’un ait décidé d’utiliser du papier et de l’encre pour l’imprimer –, c’est que vous utilisez un écran. Vous ne « passez pas du temps devant un écran », vous êtes en train de lire. Et on considère généralement que la lecture est une bonne chose.

L’important, ce n’est pas qu’on lise sur un écran ou une page imprimée, l’important, c’est de lire tout court. Le support ne doit pas devenir plus important que l’activité qu’on y pratique. Sauf que c’est un peu ce qui est en train de se passer avec le débat actuel sur le temps passé devant un écran par les enfants et les adolescents.

Tout cela pour dire que la Commission transpartisane sur les effets des écrans sur la santé des jeunes que veut créer le premier ministre François Legault doit bien cerner son mandat avant de commencer ses travaux. Parce qu’il est trop facile de tout mettre sur le dos d’une technologie comme si elle était responsable du contenu dont elle n’est que le support.

Quand Gutenberg a inventé l’imprimerie, les pouvoirs de l’époque ont condamné cette invention diabolique qui avait la possibilité de disséminer des idées dangereuses puisque les livres deviendraient accessibles et seraient vendus à bas prix.

Ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’on a préféré s’attaquer à la méthode de diffusion plutôt qu’au contenu. Mais le danger actuellement, c’est qu’on veuille aller trop vite et qu’on tombe dans les solutions faciles comme d’interdire purement et simplement les tablettes à l’école, comme on essaie de le faire pour les téléphones cellulaires.

En fait, il faut surtout résister à la tentation de dire que c’est un problème qui peut être réglé par une rapide interdiction. L’interdiction, en fait, est tout le contraire d’une solution.

Comme le sujet est populaire à Québec actuellement, la mode est à la précipitation. Le chef du Parti québécois (PQ), Paul St-Pierre Plamondon, a même sérieusement suggéré de reconnaître sans plus attendre les conclusions d’une étude d’experts français sur la question du temps d’écran.

« De toute façon, la commission spéciale n’aura pas à faire de débroussaillage, des travaux sont déjà faits, notamment un rapport de 142 pages en France qui est très crédible, très fouillé », a affirmé le chef du PQ.

Après tout, pourquoi avoir notre propre Assemblée nationale, si on peut copier les travaux de celle des autres !

Même désir de rapidité pour adopter cette idée de « majorité numérique » à 16 ans pour l’utilisation des réseaux sociaux. Le chef péquiste a même donné en exemple la Floride, l’un des États et des gouvernements les plus conservateurs de tous les États-Unis.

En fait, la majorité numérique est l’un des meilleurs exemples d’une mesure essentiellement symbolique dont on sait d’avance qu’elle ne changera rien.

D’abord, parce que ce n’est tout simplement pas applicable : on ne peut pas mettre l’équivalent d’une boîte noire sur chaque téléphone et chaque tablette de chaque jeune de moins de 16 ans pour savoir quels sites il fréquente.

Mais, surtout, ce n’est pas de cette façon qu’on fera la nécessaire éducation des jeunes qui vivront dans un monde numérique et auxquels il faut donner les moyens de se défendre contre la désinformation et les « fake news » qu’on retrouve un peu partout sur l’internet. En ces matières, le plus tôt on interviendra, le mieux ce sera.

Il faudrait leur expliquer comment fonctionnent les algorithmes, qui créent une spirale pour vous proposer de plus en plus d’informations qui ne contiendront plus que des choses que vous voulez entendre. Le but est de capter votre attention plus longtemps. Ce qui permet aux propriétaires des réseaux sociaux de recueillir de plus en plus d’informations sur vous et vos habitudes de consommation, qu’ils pourront ensuite monétiser.

Voilà qui serait bien plus utile que toutes les interdictions auxquelles on songe ces temps-ci.

Cela ne veut pas dire qu’il faille se cacher la tête dans le sable. Les écrans peuvent avoir un effet négatif sur les enfants, surtout les plus jeunes. Mais ce sont alors les parents qui sont les mieux placés pour intervenir et prévenir une exposition excessive aux écrans.

Mais les mesures dont on entend le plus parler visent les adolescents. Un âge où on veut justement tester les limites et où une interdiction a bien des chances d’être contre-productive.

Les jeunes vont vivre dans un monde de plus en plus connecté. Il est important de leur donner une bonne éducation sur les moyens de bien naviguer dans ce contexte. Le génie ne retournera pas dans la bouteille, il faut apprendre à vivre avec. Et surtout, aider les adolescents à ne pas se laisser séduire par lui.

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