L’impact des réseaux sociaux sur les jeunes inquiète François Legault. Lors du conseil général de son parti, samedi dernier, il a affirmé que les réseaux sociaux sont addictifs. Au même titre que la drogue, a-t-il précisé.

« La façon de fonctionner des médias sociaux, c’est de rendre les lecteurs dépendants. Donc c’est un peu comme si c’était des pushers virtuels, comme la drogue et d’autres substances. C’est inquiétant, ça me fait peur », a-t-il déclaré.

« Pushers virtuels » et « drogue ». Les images sont fortes. Mais jusqu’à quel point sont-elles conformes à la réalité ?

J’ai interrogé des experts au sujet du caractère addictif de ces réseaux. Pour leur demander si on peut vraiment les comparer à des substances comme la drogue et l’alcool et pour connaître leur avis sur les mesures envisagées.

Professeure au département de psychologie à l’UQAM, Magali Dufour est catégorique : « Les réseaux sociaux peuvent rendre dépendants. »

Ces réseaux ont été structurés de telle façon qu’ils favorisent la production de dopamine dans nos cerveaux.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Magali Dufour, professeure au département de psychologie à l’UQAM

On vous donne l’hormone du plaisir. On essaie de provoquer les neurotransmetteurs associés au plaisir. Comme avec les substances comme l’alcool et les drogues, qui vont faire ça de façon naturelle.

Magali Dufour, professeure au département de psychologie à l’UQAM

On stimule donc le système dopaminergique, souvent qualifié de « circuit de la récompense ». C’est ce qui libère la dopamine.

« C’est comme si la lumière de notre circuit électrique était allumée. Alors comme humain, on a envie que cette lumière reste allumée le plus longtemps possible », ajoute Andrée-Anne Légaré, professeure au Service sur les dépendances de la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke.

« Les concepteurs des réseaux sociaux se sont probablement bien intéressés à la manière dont notre circuit de la récompense est stimulé par différentes stratégies, que ce soit la diffusion de contenu rapide, de contenu agréable, la précision de l’algorithme. Ils vont nous exposer à des éléments qui stimulent notre circuit dopaminergique. »

Moins de temps devant mon écran, svp !

Ces techniques de renforcement sont généralement d’une efficacité redoutable.

Un sondage récent effectué auprès de jeunes de 18 à 24 ans par la firme Léger le montre bien.

« On a 91 % des jeunes qui disent trouver ça difficile d’arrêter une fois qu’ils utilisent leurs écrans. Et de ceux-là, on en a 43 % pour qui cette occurrence est élevée – c’est-à-dire de souvent à très souvent –, donc presque la moitié », signale Carolanne Campeau, conseillère en prévention des risques liés à l’usage des écrans dans le cadre de l’initiative Pause, qui « fait la promotion d’une utilisation équilibrée de l’internet et des écrans » et qui a commandé le sondage.

PHOTO FOURNIE PAR CAROLANNE CAMPEAU

Carolanne Campeau, conseillère en prévention des risques liés à l’usage des écrans chez Pause

Selon elle, les données démontrent « le potentiel addictif et les techniques de renforcement utilisées par les plateformes ».

Le sondage révèle aussi que 78 % des jeunes Québécois ont l’impression que l’utilisation des écrans affecte leur santé psychologique (stress, anxiété, estime de soi ou humeur, par exemple) et 91 % disent que leur santé physique (posture, vision, etc.) s’en ressent.

Ce qui frappe également l’esprit, c’est que presque tous les jeunes interrogés (95 %) voudraient passer moins de temps devant un écran.

« Étant adultes, on a peut-être plus de chances de comprendre et de mettre en place nous-mêmes des stratégies d’autocontrôle. Mais c’est sûr que pour une personne plus jeune, ça peut être plus difficile », précise Carolanne Campeau.

Dans ce contexte, utiliser l’image de « pushers virtuels » pour décrire les réseaux sociaux ne me semble pas farfelu.

Mais Magali Dufour n’est pas certaine de vouloir aller aussi loin.

« Est-ce que ce sont des pushers ? Je ne le sais pas, répond-elle. Peut-être parce que je suis psychologue et que j’essaie de travailler dans la nuance avec mes patients. Mais en grande partie, aussi, parce que ce n’est pas tout le monde qui va être dépendant des réseaux sociaux. »

Comme pour le tabac

Chose certaine, un consensus se dégage quant aux dangers des réseaux sociaux pour les jeunes. Et les expertes consultées pour cette chronique ont toutes manifesté leur inquiétude quant à la situation actuelle.

Elles ont cependant des réserves quant à savoir si la meilleure option pour Québec est d’instaurer un âge minimal pour l’accès aux réseaux sociaux.

Carolanne Campeau estime qu’il faudrait surtout réussir à empêcher les plateformes numériques d’utiliser les nombreuses techniques de renforcement qui nous rendent accros.

Les technologies utilisées par Meta (Facebook et Instagram) ont servi à « piéger les jeunes et les adolescents afin de faire des profits », ont d’ailleurs allégué 40 États américains qui ont poursuivi, l’automne dernier, ce géant du numérique.

L’idée d’un âge minimal « est intéressante parce qu’elle témoigne d’une préoccupation qui est importante, mais en termes d’efficacité, je crois qu’on ne tire pas à la bonne place », dit Andrée-Anne Légaré.

Selon elle, le Québec devrait plutôt « investir davantage en prévention et en sensibilisation, tant auprès des jeunes que de leurs parents ».

Magali Dufour, pour sa part, est « très préoccupée » de voir que le débat tourne uniquement autour des réseaux sociaux. Il ne faudrait pas oublier la problématique de la dépendance aux jeux vidéo, dit-elle.

Et si elle voit d’un bon œil l’idée d’une commission parlementaire sur les impacts des écrans sur la santé des jeunes, suggérée il y a quelques jours par François Legault, elle croit que le Québec a besoin d’une initiative plus durable.

« Ce que j’aimerais, c’est un plan de surveillance comme ça a été fait pour le tabac, sur plusieurs années, dit la psychologue. Il faut avoir des mesures à la fois législatives, dans les écoles, avec les parents, avec les jeunes… Une solution miracle ne fonctionnera pas. J’aimerais ça, mais je n’y crois pas. »

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