Il y a un mois, le gouvernement Trudeau a annoncé son intention d’« élargir l’accès » aux prêts « halal », aussi appelés prêts hypothécaires islamiques, au Canada.

Une partie du mouvement nationaliste québécois a pogné les nerfs comme si la survie de la nation en dépendait.

Au nom de la laïcité de l’État, le gouvernement Legault demande à Ottawa de reculer et suggère même d’interdire les prêts hypothécaires islamiques au Québec. Le Parti québécois parle d’un « précédent inquiétant pour la neutralité de l’État1 ».

Cette histoire s’apparente pourtant à une tempête dans un verre d’eau. Démêlons-la en trois questions.

1. C’est quoi, un prêt hypothécaire islamique ?

Dans la religion musulmane, facturer ou percevoir des intérêts est interdit. Les musulmans qui pratiquent leur religion de façon stricte estiment donc ne pas pouvoir contracter un prêt hypothécaire traditionnel.

Pour qu’ils aient accès à la propriété, il existe donc un produit de financement immobilier de type islamique. C’est un contrat de prêt où on transforme les intérêts en frais. Ce contrat est conforme aux principes de la charia et à nos lois civiles.

Par exemple, la banque achète la maison, calcule le profit qu’elle aurait fait avec un prêt hypothécaire sur 25 ans, et revend la maison à l’acheteur à ce prix gonflé (par exemple, 820 000 $ pour une maison achetée 500 000 $) en lui facturant des frais (au lieu des intérêts).

2. Ces contrats de prêts islamiques sont-ils légaux ?

Ces contrats respectent à 100 % nos lois civiles et bancaires. Même si les grandes banques n’offrent pas ce produit, il est offert par certaines firmes spécialisées. La firme ontarienne Manzil accorde de 100 à 200 prêts hypothécaires islamiques par an.

3. C’est quoi, le problème ?

Pourquoi parle-t-on tout à coup des prêts hypothécaires islamiques ? Dans son budget, le gouvernement Trudeau songe à en « élargir l’accès ». Certains commentateurs ont conclu à tort qu’Ottawa voulait favoriser les prêts islamiques. Ce n’est pas le cas. Aucune institution financière ne va non plus être forcée d’offrir ces contrats.

Mais il y a plusieurs règles bancaires et fiscales qui s’adaptent mal aux prêts hypothécaires islamiques. Ça rend le taux de ce type de prêts plus élevé d’environ 1 % à 3 %, estime la firme Manzil.

C’est ce à quoi le gouvernement Trudeau veut probablement s’attaquer. (Le prêt hypothécaire islamique reviendra toujours plus cher parce que c’est un produit plus niché, mais l’objectif serait de réduire l’écart de taux.)

J’écris « probablement » parce qu’Ottawa n’a pas donné de détails sur ses intentions (pas fort, avec un sujet aussi sensible…), sauf pour dire qu’il ferait des consultations et annoncerait sa décision à l’automne.

En parlant à des experts en Ontario, j’ai compris les ajustements demandés à Ottawa, entre autres par la firme Manzil.

En gros, on demande d’adapter les règles fiscales pour qu’un prêt islamique soit traité, aux fins de l’impôt, de la même façon qu’un prêt hypothécaire traditionnel. Après tout, l’objectif est le même : acheter une maison.

Actuellement, en raison du montage financier, une personne qui contracte un prêt hypothécaire islamique :

  • N’obtient pas le remboursement de taxes en Ontario sur le prix des maisons neuves ;
  • Paie une somme plus élevée pour la TPS et les droits de mutation.

En plus, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) n’assure pas les prêts islamiques.

« Nous aimerions passer d’une position désavantageuse à une position neutre et égale [par rapport à un prêt hypothécaire traditionnel] sur le plan financier », résume Mohamad Sawwaf, PDG de Manzil.

Plusieurs pays l’ont fait.

La France a réformé ses lois fiscales à la fin des années 2000 afin de les adapter à la finance islamique2.

Au Royaume-Uni, le financement islamique existe depuis 1982. C’est le pays du G7 où il est le plus développé.

Aux États-Unis, les prêts islamiques sont assurés par l’équivalent américain de la SCHL. Les règles fiscales sont neutres, si bien que la University Bank les offre au même taux que les prêts hypothécaires traditionnels dans 31 États américains, selon son PDG, Stephen Lange Ranzini.

Un accommodement (très) raisonnable

Il n’est pas question d’introduire les règles de la charia ou toute autre loi religieuse dans nos lois. Nos lois sont laïques, c’est fondamental.

Mais en quoi s’assurer que nos lois fiscales soient neutres à l’égard de prêts hypothécaires islamiques menace-t-il le caractère laïque de la société québécoise ou canadienne ? Le droit d’une institution financière de vous facturer des intérêts plutôt que des frais n’est pas une valeur fondamentale de la société québécoise.

Permettre d’avoir des petits caractères différents dans votre contrat hypothécaire sans être pénalisé sur le plan fiscal, c’est un accommodement très raisonnable, sans conséquence pour la société d’accueil.

Le gouvernement Legault a un problème avec l’idée de contrats d’inspiration religieuse, estimant que c’est contraire à la laïcité.

S’il était conséquent avec lui-même, Québec interdirait tous les contrats religieux.

Mais il avalise pourtant chaque année des milliers de contrats qui respectent à la fois les règles d’une religion et de notre Code civil : les contrats de mariage !

Que ce soit à l’église, à la mosquée ou dans un temple hindou, quand un couple se marie devant un célébrant religieux, il constitue un contrat conforme aux règles d’une religion qui devient un contrat civil s’il respecte nos lois civiles et est envoyé au Directeur de l’état civil.

Au nom de quoi le gouvernement Legault veut-il interdire certains contrats religieux, mais pas d’autres ?

Il existe de la viande halal. Vous n’êtes pas obligé d’en consommer. C’est la même chose pour les investissements et les prêts islamiques.

Nos lois doivent avoir les mêmes effets pour tout le monde. Prêt hypothécaire traditionnel ou prêt hypothécaire islamique, le client achète une maison. Il devrait supporter le même fardeau fiscal sur la transaction et avoir droit aux mêmes crédits d’impôt.

1. Lisez l’article du Journal de Québec « Québec ne veut pas d’une hypothèque islamique » 2. Lisez l’article du gouvernement français « Qu’est-ce que la finance islamique ? » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue