Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal ou de la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal.

Le 19 juin, Radio-Canada a dévoilé le projet d’Hydro-Québec de construire « d’immenses parcs éoliens terrestres, parmi les plus grands de la planète », avec des lignes et des postes pour transporter cette énergie vers les centres de consommation.

Les obstacles au succès de la transition énergétique ont été soulevés dans les dernières années, dont les délais réglementaires pour les nouveaux équipements et l’acceptabilité sociale, notamment auprès des communautés autochtones.

Mais ne perdons pas de vue un aspect essentiel qui autrement risquerait de faire déraper l’appui à la transition que nos dirigeants qualifient de plus grand défi de notre temps : la rigueur dans la gestion des projets qui se déploieront sur tout le territoire québécois.

Un défi pharaonique

Hydro-Québec prévoit investir près de 200 milliards de dollars d’ici 2035 pour augmenter la production d’électricité, la transporter jusqu’aux clients, renforcer le réseau pour la qualité du service, améliorer la performance énergétique des bâtiments, électrifier les transports et offrir aux clientèles une multitude de programmes en efficacité énergétique.

Le défi est énorme. Il faut convertir pas moins de 50 % de notre bouquet énergétique, qui s’appuient encore sur des sources fossiles, par des technologies propres, comme l’hydraulique, l’éolien, le solaire ou les batteries.

Pour y arriver, il faudra planifier et exécuter, avec doigté, plusieurs projets, à gros budget, qui mobiliseront 20 % de la main-d’œuvre en construction de la province, selon Hydro-Québec.

Planifier ces projets et les gérer en respectant les enveloppes budgétaires prévues sera crucial. Or ces dernières années, les projets, y compris ceux dans le domaine de l’énergie, n’ont pas toujours été achevés en respectant les coûts et les échéanciers envisagés.

Le complexe hydroélectrique Site C, en Colombie-Britannique (1100 mégawatts), qui devrait être mis en service cette année, devait coûter 8 milliards de dollars. Jusqu’ici, il en a coûté le double, soit plus de 16 milliards, avec un an de retard sur son échéancier.

À l’autre bout du Canada, à Terre-Neuve, le complexe hydroélectrique de Muskrat Falls (824 mégawatts), était prévu initialement à 7,4 milliards. Il a été achevé en 2023 au coût de près de 13 milliards. Le gouvernement terre-neuvien a même dû constituer une commission d’enquête pour faire la lumière sur ces dépassements de coûts.

Éviter le « biais d’optimisme »

Publié en 2020, le rapport cite le témoignage de Bent Flyvbjerg, un expert en mégaprojets⁠1. Dans son analyse, cet ex-enseignant à Oxford souligne que les estimations de coûts et d’échéancier sont systématiquement trop basses.

Il note ce qu’il appelle un « biais d’optimisme » qui conduit les ingénieurs, les architectes, les gens d’affaires, les syndicats et les politiciens qui soutiennent un gros investissement à surestimer ses avantages et à grandement sous-estimer les difficultés.

Le jugement du chercheur est sans appel : de manière générale, neuf mégaprojets sur dix subissent des dépassements de coûts et d’échéancier⁠2.

Les dépassements jusqu’à 50 % des coûts sont courants et les dépassements de plus de 50 % ne sont pas rares. Ils se manifestent autant dans les initiatives du secteur privé que dans celles du secteur public.

À l’aube de sa transition, il est impératif que le Québec soit conscient de ce risque avant de lancer d’aussi grands chantiers. Il faudra notamment former un nombre suffisant de professionnels en gestion de projets.

Des équipements électriques plus coûteux que prévu se répercuteront directement sur les tarifs d’électricité qui, déjà, devraient être à la hausse en raison des nombreux nouveaux actifs prévus pour décarboner notre économie.

Il y a là un enjeu pertinent à évoquer lors de la consultation sur le Programme de gestion intégré des ressources énergétiques prévue par le gouvernement dès l’automne.

1. Consultez le rapport Muskrat Falls : A Misguided Project (en anglais) 2. Lisez « Introduction : The Iron Law of Megaproject Management », de Bent Flyvbjerg (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue