Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Olivier Niquet.

J’ai toujours aimé les déménagements. Mes capacités à m’exciter ne sont pas très grandes, vous diraient les gens qui me côtoient, mais la logistique du changement me rend heureux. Je réaménage régulièrement des espaces de ma maison pour me donner l’impression d’un renouveau. Je sais, j’ai une vie palpitante.

Déménager est le summum du renouveau. Une occasion en or d’optimiser l’étalage de nos biens de surconsommation ou d’enfin se défaire de ces cossins inutiles que l’on attend d’installer « au cas où ». Si on peut construire un pont « au cas où », pourquoi ne pourrais-je pas conserver cette sorbetière « au cas où » ?

Je ne suis pas un ramasseux, mais je flirte avec le syndrome de Diogène lorsqu’il est question de fils. Vous aussi avez sûrement cette boîte remplie de fils, impossibles à démêler. Des fils USB de la génération précédente (pour ne pas être mal pris si on revenait en 2008), des fils d’imprimante à utiliser quand mon imprimante ne se connecte pas sur le WiFi (c’est-à-dire la moitié du temps), des fils HDMI. Genre douze fils HDMI, pour mes deux télés. Il faut être prêt au cas où mon fil HDMI briserait (c’est-à-dire jamais). Si je parvenais à démêler le tapon qu’ils forment, je pourrais faire le tour de la Terre en mettant bout à bout tous les fils de ma collection.

J’ai même de longs câbles réseau, vestiges d’une époque révolue. À l’époque de l’individualisme en réseau, nous sommes branchés directement par intraveineuse à l’internet. C’est notre nouvelle structure sociale. Les individus façonnent des liens avec d’autres individus qui sont issus d’une même communauté de pensée, chacun de leur bord. La déconnexion est synonyme d’esseulement pour plusieurs. Autant les gens sont plus connectés qu’avant, autant ils sont plus isolés.

Il reste que je suis content de ne pas avoir à déménager cette année. C’est que selon les rumeurs, il y aurait une crise du logement. Je ne m’aventurerai pas à tenter de déterminer quelles sont les causes de cette crise. Le ministre de l’Immigration du Canada nous dit qu’elle pourrait se résoudre en accueillant plus de personnes qui viendraient construire des maisons. Le premier ministre du Québec dit qu’elle est exclusivement la faute des immigrants temporaires. C’est à qui aura l’explication la plus grossière. Il me semble qu’il y a beaucoup d’autres paramètres dont il faut tenir compte et je me demande à quel point la solitude liée à l’individualisme nouveau genre y est pour quelque chose.

Selon Statistique Canada, en 2021 19 % des Québécois vivaient seul. Une proportion qui double dans les grands centres. C’est peut-être plus encore aujourd’hui, considérant à quel point les gens ont de la misère à s’endurer. Surtout, c’est beaucoup plus qu’à la fin du XXsiècle. Cette nouvelle solitude n’est sûrement pas pour aider la crise du logement. Un couple a besoin d’un logement, deux célibataires ont besoin de deux logements. Est-ce que ça paraît que j’ai fait des maths au cégep ?

Un de mes combats dans la vie est de dénoncer ceux qui offrent des solutions simples à des problèmes complexes en vertu d’arguments douteux. Mais des fois, ça m’inspire.

Voici donc ma proposition naïve pour régler la crise du logement : adoptez un nouvel arrivant. Ou mieux, épousez-le. « Qui prend mari prend pays », comme diraient ceux qui prennent les dictons pour des vérités absolues.

Je sais que c’est difficile en cette ère d’indignation et de colère, mais s’aimer les uns les autres pourrait être une très belle façon de régler les problèmes de l’habitation. Il suffirait de se calmer le pompon et de ne pas toujours se fâcher contre ceux qui n’ont pas les mêmes idées que nous. Je l’ai dit, mon plan relève de la pensée magique.

Mais il fonctionne à toutes les échelles. En matière de politique comme en matière de partage des tâches ménagères. Si on est incapable de tolérer qui que ce soit dans notre vie numérique, on risque d’avoir de la misère à tolérer quelqu’un qui fouille dans notre frigidaire. Par contre, avoir quelqu’un devant son frigo est une très belle occasion de lui enseigner la recette du pâté chinois. Par la bande, cette solution sauverait la culture québécoise.

Si déménager est agréable dans des circonstances idéales, je me doute bien que ce n’est pas facile d’arriver de l’étranger en pleine crise du logement. Un déracinement qui peut être traumatisant. Je suis moi-même traumatisé lorsque je vais dans certains coins de Laval, alors je n’imagine pas le dépaysement extrême de ces gens-là.

Nonobstant les questions de capacité d’accueil qui sont légitimes, à l’échelle du logement, à l’échelle de l’être humain déraciné, il est peut-être temps de mettre nos boîtes de fils en commun et de tisser de nouveaux liens. Il n’y a rien de mieux que de partager une salle de bains pour mieux se connaître.

On est mûrs pour un grand remplacement. Remplacer les ménages d’une personne par des ménages de deux personnes. Eh hop, un beau trois et demie à 2000 $ instantanément libéré. D’une pierre deux coups : on met fin à la souffrance liée à la solitude ainsi qu’à la crise du logement. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Restez à l’écoute, la prochaine fois je m’attaque à la pénurie de main-d’œuvre.

Qui est Olivier Niquet ?

Olivier Niquet a une formation en urbanisme. Chroniqueur radio, que l’on peut notamment entendre à l’émission La journée (est encore jeune) sur ICI Première, il a publié deux livres : Le club des mal cités et Les rois du silence : ce qu’on peut apprendre des introvertis pour être un peu moins débiles et (peut-être) sauver le monde. Il est aussi scénariste et conférencier, en plus d’alimenter les sites tourniquet.quebec et sportnographe.info.