Dix rencontres de haute volée avec des philosophes de langue anglaise – neuf Américains et un Australien – ayant laissé de profondes marques dans leur champ intellectuel : voici le programme proposé par le chroniqueur et penseur Normand Baillargeon, qui reproduit dans cet ouvrage des entretiens aux angles variés. Une belle séduction par les idées – à condition d’être bien outillé.

Recueillies entre 1994 et 2010 (certains passages, datés, sont à replacer dans leur contexte temporel), ces conversations avec de grands noms de la discipline (Quine, Chomsky, Singer, etc.) ratissent de larges horizons, des grands courants et paradigmes philosophiques à un éventail d’enjeux sociaux et politiques très ancrés dans la réalité : religion, féminisme, réchauffement climatique, conflits armés, médias de masse, et même l’humour, dans un ultime chapitre en apothéose qui fait sourire, bien que la question y soit décortiquée avec le plus grand sérieux.

Mais avant de parvenir à ce dernier volet déridé, ton et propos amorçant l’essai se révèlent beaucoup plus exigeants pour le lecteur. Les premiers à entrer en scène étant Putnam, Dennett et Quine, les questions nous plongent sans ambages dans les profondeurs de la philosophie analytique. Le lecteur prend alors conscience qu’il fera face à des dissertations de haute voltige ; et à ce titre, l’auteur se révèle le parfait interlocuteur pour se hisser à la hauteur de ces géants.

Or, pour quiconque n’ayant jamais fourbi d’armes philosophiques, ces dialogues introductifs pourraient sembler arides et obscurs.

Car nombre de concepts, courants, références ou noms ne seront pas explicités pour le lecteur novice en la matière ; et même l’initié pourrait parfois perdre pied et convoquer Google à la rescousse pour éclairer certains passages. Toutefois, des notes de bas de page constituent à l’occasion des béquilles salvatrices, tandis que divers encadrés (fort bienvenus, mais trop rares) détaillent certaines théories, expériences ou analogies, comme celle de « La chambre chinoise ».

Persévérez !

Bref, la première partie de l’ouvrage peut donner l’impression que Parlons philosophie s’adresse d’abord et avant tout à un lectorat averti, voire aguerri. Placer ce trio de penseurs prestigieux en tête de gondole est un choix certes justifiable, mais pas des plus vendeurs, car certains lecteurs, redoutant un chemin de croix, pourraient être tentés de déposer leur sac en chemin. Ce qui serait navrant, puisque les tranches d’entretiens suivantes, dont celles centrées sur les enjeux sociaux, éthiques et politiques, nous ont semblé bien moins universitaires et beaucoup plus digestes.

Un grand nom n’attend pas l’autre : Noam Chomsky disserte sur le militantisme universitaire, passant le relais à Michael Walzer pour une passionnante analyse de l’éthique des conflits internationaux, dont son approche de « La guerre juste ». On apprécie le fait que l’auteur, dans ses questions, résume les théories et avancées de ses invités, ou incite ces derniers à le faire. Avec ce même effort, nous y voyons plus clair dans les propos de Nussbaum (notamment sur la condition féminine, la démocratie ou la philosophie des émotions), de Herman au sujet des médias et de la propagande, ou encore de Singer sur les droits animaliers, présentés plus loin dans l’essai.

Bref, celui qui a pu avaler (ou escamoter) la pilule de la philosophie analytique ouvrant le bal découvrira par la suite des entretiens enrichissants, instructifs et plus abordables, conclus en beauté par les saillies plus ludiques de Cathcart et Klein, exposant la mécanique complémentaire des rouages comiques et philosophiques.

Il faut profiter du fait que les chapitres de Parlons philosophie ne forment pas un tout inextricable : rien ne nous empêche de picorer selon nos champs d’intérêt. Des bouchées culturelles nord-américaines encore plus nourrissantes pour les philosophes en herbe dont la formation s’est centrée sur les penseurs européens traditionnels.

Extrait

« Je voulais contribuer à faire connaître des œuvres, des idées, dont je suis persuadé qu’elles méritent de prendre part à la grande conversation démocratique, qu’elles ne peuvent qu’enrichir. Donner la parole à ces grands auteurs, leur permettre de s’exprimer sur un ton plus personnel, parfois plus familier, sur un ton un peu moins académique, plus accessible et en réponse à des questions elles aussi plus facilement compréhensibles, me semblait, et me semble encore, un bon moyen de viser cet objectif. »

Qui est Normand Baillargeon ?

Philosophe et chroniqueur, Normand Baillargeon a écrit, dirigé ou édité plus d’une soixantaine d’ouvrages traitant d’éducation, de philosophie générale, de politique, d’art et de littérature. Il intervient aussi bien dans les médias grand public (Le Devoir) que dans des revues universitaires. Récemment, il a participé aux trois saisons de la série Repenser le monde et conçu la série L’école en dix questions.

Parlons philosophie

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Somme toute

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