Après dix ans d’absence, Catherine Breillat effectue un retour en force avec L’été dernier, remake du film danois Queen of Hearts, où une avocate vit une liaison avec son beau-fils de 17 ans.

Avocate spécialisée dans les droits des enfants, Anne (Léa Drucker) mène une vie parfaite auprès de son mari Pierre (Olivier Rabourdin) et de leurs fillettes adoptives (Serena Hu et Angela Chen). Expulsé de son école à Genève, où il vit avec sa mère, Théo (Samuel Kircher), fils de Pierre d’une première union, vient s’installer chez la petite famille. Alors que dans Queen of Hearts (2019), de May el-Toukhi, c’est l’avocate qui séduisait son beau-fils, dans L’été dernier, Anne et Théo échangent spontanément un premier baiser.

« Les personnages de l’histoire sont bien plus complexes et humains. Je n’aime pas les choses simplistes et rigoristes qui correspondent à la rigueur morale de l’époque qui veut se mettre en place. J’aime mieux briser ça que de perdre les repères du Bien et du Mal, que de ne pas se dire qu’on est des humains, qu’on est faillibles. Est-ce qu’on aurait cédé, nous ? Est-ce un crime ? Une faute qu’elle commet ? Non, ce ne l’est pas », affirme Catherine Breillat, jointe l’automne dernier par visioconférence au Festival du film de New York.

Si Catherine Breillat confirme que l’avocate est coupable aux yeux de la loi, ce n’est pas l’aspect judiciaire qui l’intéressait dans cette histoire, pas plus que la nature incestueuse de la relation, mais plutôt le contexte dans lequel se développe cette liaison entre une femme d’âge mûr et un adolescent de 17 ans.

« Dans cette histoire, ils sont irrésistiblement amoureux. L’attirance et l’amour ne se maîtrisent pas. C’est quelque chose qui s’empare de vous, et sa faute, c’est de laisser cette émotion s’emparer d’elle. Ce n’est pas qu’un désir sexuel, c’est une attirance. Dès le retour du lac, où Anne emmène Théo et les petites filles, on voit bien qu’ils sont radieux ensemble ; ils sont encore dans un bonheur extrêmement chaste, mais évident. Ils ont rajeuni tous les deux. Ils ne pensent même pas à ce moment où ils vont coucher ensemble. »

PHOTO SCOTT GARFITT, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le producteur Saïd Ben Saïd, la cinéaste Catherine Breillat et l’actrice Léa Drucker, au Festival de Cannes en mai 2023

Et pourtant, ce moment arrivera puisque les regards ne suffiront plus : « C’est fascinant comment on passe d’une relation où la personne qu’on connaît est habillée et qu’on ne pense pas coucher avec elle, même s’il se passe quelque chose qu’on n’identifie pas totalement. »

C’est très bien, car on va glisser lentement vers l’intimité naturelle. J’avais envie de voir que cela se faisait de manière naturelle.

Catherine Breillat, cinéaste

« L’attirance réciproque, ça se voit, ça se sent, c’est tangible, poursuit-elle. Pour un cinéaste, c’est très important qu’on montre comment ça existe et qu’il n’y ait pas que le langage parlé ou écrit. Il y a aussi celui des émotions, du silence, des expressions du visage. On n’a jamais analysé comment était ce langage muet et indéfinissable, pourtant si percutant et violent. »

Un amour impossible

Au cours de leurs ébats, Anne s’extasie de la minceur de Théo. Pourtant, au début du film, tandis que Pierre lui fait l’amour mécaniquement, elle lui parle d’un ami de sa mère qu’elle a aimé à l’adolescence, un homme qu’elle trouvait vieux même s’il n’avait que 33 ans. Lorsque Pierre lui demande ensuite ce qu’elle pense de lui, Anne lui répond qu’elle aime les signes de l’âge sur son corps, allant jusqu’à se prétendre gérontophile.

PHOTO FOURNIE PAR ENCHANTÉ FILMS

Léa Drucker dans L’été dernier

« Les deux sont vrais. Anne est une femme heureuse dans son mariage et dans sa famille, mais c’est aussi une femme qui porte une histoire dans son corps. Quelque chose a été brisé dans son adolescence. Elle fait l’amour de manière très solitaire, comme une femme frigide, très crispée. Avec ce jeune homme, elle revit d’une manière évidente l’adolescence qu’on lui a volée. »

C’est au cours d’une entrevue pour s’amuser que Théo constate qu’Anne a vécu un évènement traumatique durant sa jeunesse et que cela pourrait expliquer pourquoi elle n’a pas pu avoir d’enfants.

« Quand le jeune garçon s’aperçoit qu’il la harcèle avec ses questions posées à la légère, il arrête le magnétophone, car il découvre que cette femme qu’il aime est dévastée. Les larmes d’Anne coulent, puis il l’embrasse comme s’il voulait la protéger. C’est quelque chose que font les garçons amoureux de femmes plus âgées. Ils jouent à l’homme plus âgé, au protecteur. »

C’est hyper charmant. Et c’est là qu’on comprend que Théo l’aime vraiment.

Catherine Breillat, cinéaste

Il s’agit toutefois d’un amour impossible : « C’est un amour que je dirais inapproprié, qui n’est ni salace ni salaud. Quand ils se regardent l’un l’autre, ils rajeunissent l’un l’autre. Tout d’un coup, elle a le même âge que lui. Ce n’est pas choquant. »

Si L’été dernier ne se termine pas sur une note fatale comme Queen of Hearts, sa conclusion n’en est pas moins glaciale, ce qui a valu à Catherine Breillat de se faire reprocher de vouloir défendre la bourgeoisie.

« Ce n’est pas la bourgeoisie que je défends, mais l’amour conjugal, qui est formidable, où on est protégé comme dans un cocon. Évidemment, de ce cocon ne va pas sortir un papillon. Avec son mari, il y a tout de même une privation de fantaisie et de liberté. Avec ce jeune homme, c’est la grâce, la jeunesse retrouvée. On veut nous faire croire que les femmes ne peuvent pas être aimées de jeunes garçons, mais c’est la vérité absolue. Comme les jeunes filles peuvent tomber amoureuses d’hommes plus vieux », conclut la cinéaste.

En salle