Jean-Pierre Améris dirige Louane Emera et Michel Blanc dans Marie-Line et son juge, récit d’apprentissage à teneur sociale adapté d’un roman de Murielle Magellan. La Presse a rencontré le réalisateur à Paris.

À l’instar du roman de Murielle Magellan, Marie-Line et son juge devait s’appeler Changer le sens des rivières, d’après des paroles empruntées à La beauté d’Ava Gardner, jolie chanson d’Alain Souchon. Or les producteurs et distributeurs, jugeant le titre trop poétique, lui en ont préféré un plus prosaïque.

S’il ne l’avait pas déjà adapté pour la télé en 2012, Jean-Pierre Améris (L’homme qui rit, Les émotifs anonymes) aurait pu choisir La joie de vivre. « J’adore ce personnage de Pauline, qui est la bonté incarnée, dans ce roman d’Émile Zola. Comme Pauline, la force de Marie-Line, c’est sa joie de vivre », confie le cinéaste, rencontré en janvier au Rendez-vous d’Unifrance.

« D’ailleurs, quand j’ai lu le roman de Murielle Magellan, que je connais bien puisqu’elle est scénariste de plusieurs de mes films, dont La joie de vivre, ce que j’aimais, c’était cette question de l’origine sociale, c’est-à-dire, est-ce qu’on est voué à suivre la même voie que ses parents ou est-ce qu’on peut en changer ? »

Issu d’un milieu très modeste et violent, Jean-Pierre Améris raconte qu’à 14 ans, il s’est pris de passion pour le cinéma : « J’y entrais déprimé, j’en sortais ragaillardi. »

Après avoir révélé à ses parents son intention de faire des films, son père, inquiet pour l’avenir de son fils, lui aurait simplement dit : « Oublie ! C’est pas pour nous ! »

« Je trouve que c’est une expression terrible… Heureusement, mon désir était si fort que je ne l’ai pas écouté. Avant de mourir, mon père était content et tout fier parce que je faisais des films. Il n’y a rien de plus triste aujourd’hui que d’entendre des adolescents de 12 ans dire que c’est fichu, qu’ils lâchent l’école parce qu’ils viennent de la banlieue, un peu comme la sœur de Marie-Line, qui a pris la voie conformiste et désespérée de la délinquance. »

À la rencontre de Marie-Line

Mais qui est donc cette Marie-Line ? Incarnée par Louane Emera, chanteuse découverte en 2014 dans La famille Bélier, d’Éric Lartigau, Marie-Line vit avec son père (Philippe Rebbot), chômeur et dépressif, dans l’espoir que sa sœur (Alexandra Gentil) vienne la chercher pour un avenir meilleur.

Louane s’est imposée dès l’écriture du scénario avec Marion Michau. Elle, qui n’a pas eu une vie facile, ressemble au personnage ; son père ressemblait un peu à celui du film.

Jean-Pierre Améris, réalisateur

« Louane est devenue orpheline très jeune et son hyperactivité a rendu sa scolarité difficile ; elle est moquée sur les réseaux sociaux parce qu’elle ne correspond pas aux standards de beauté. Moi, je la trouve magnifique. Et quel plaisir de voir un corps différent à l’écran ! Ce que je voulais donner à Marie-Line, qui est cette pulsion de vie merveilleuse, qui tombe et se relève, c’est cette joie que Louane a en elle, qui est un don qui la rend inatteignable. »

En attendant que la vie lui sourie, Marie-Line est serveuse dans un modeste café du Havre, où elle rencontre Alexandre (Victor Belmondo, petit-fils de Jean-Paul), étudiant qui rêve d’aller faire du cinéma à Paris. Peu après avoir entamé une liaison avec elle, Victor rejette Marie-Line parce qu’elle ne connaît pas François Truffaut.

« Le thème de la culture me semblait intéressant parce que c’est un facteur d’émancipation, mais qui peut aussi être un facteur d’humiliation comme Marie-Line le découvre avec son amoureux, qui est gêné de leur relation face à ses copains. Alexandre est empêtré là-dedans parce que quand on est jeune, on ne sait pas trop transmettre. Pourtant, je crois qu’il est sincère, c’était très important pour moi qu’il ne soit pas méprisant. Pour ce rôle ingrat, j’ai choisi Victor, que j’avais découvert dans Envole-moi, de Christophe Barratier, parce qu’il a quelque chose de gentil. »

PHOTO CAROLINE BOTTARO, FOURNIE PAR FUNFILM DISTRIBUTION

Le réalisateur Jean-Pierre Améris (à gauche) et l’acteur Michel Blanc durant le tournage de Marie-Line et son juge

La rupture d’avec Alexandre amène Marie-Line à croiser un juge d’âge mûr, interprété par le vétéran Michel Blanc, dont elle devient la chauffeuse. « Grâce à ce juge, mais grâce aussi à son intelligence, Marie-Line accède à la notion de choix, c’est-à-dire qu’elle comprend qu’elle doit s’estimer soi-même, avoir de l’ambition et ne pas être le sujet de sa condition sociale. »

Cheveux roses, minijupe rose, au volant de sa Twingo rose cabossée, Marie-Line en fera voir de toutes les couleurs à cet homme renfrogné, qui préfère le silence à son incessant bavardage.

J’avais cette image d’un petit juge dans son imperméable beige, un peu comme un dessin de Sempé, avec son petit cartable, et cette fille plus grande que lui. Imaginez le même film avec une fille habillée normalement et une voiture en bon état, c’est plus naturaliste. Moi, c’est de la fable et c’est joyeux.

Jean-Pierre Améris, réalisateur

Pour l’une comme pour l’autre, cette amitié, aussi improbable que la complicité entre Louane Emera et Michel Blanc, sera déterminante : « C’était beau à filmer, la cohérence de ce qui s’est passé entre les personnages, mais aussi entre les acteurs. »

« Tout ce que la romancière nous avait dit, c’était de ne pas faire du juge un pygmalion. Ce n’est pas My Fair Lady, et j’aimais beaucoup ça. Un spectateur m’a dit que le juge l’éveille et qu’elle le réveille. Peut-être naïvement, je pense toujours qu’une ou un adolescent en difficulté, comme je l’ai été, puisse tomber sur le film et que ça provoque un petit déclic », conclut Jean-Pierre Améris.

En salle le 28 juin. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.