La cinéaste Lyne Charlebois fait (enfin) un retour au cinéma avec Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles, où elle donne vie avec délicatesse et respect à la relation qu’entretenaient le frère Marie-Victorin et la botaniste Marcelle Gauvreau.

Seize ans après Borderline, où elle illustrait de façon audacieuse, percutante et crue les amours de l’héroïne imaginée par Marie-Sissi Labrèche, Lyne Charlebois va à l’autre bout du spectre de la sexualité. Aux antipodes de Kiki, incarnée avec générosité et abandon par Isabelle Blais en 2008, les personnages de Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles vivent des amours bien singulières en communion avec la nature et dans l’amour de Dieu.

« Ce ne fut pas ordinaire ce que vous avez fait là, ce que nous avons fait là ! Ce fut le dernier voile ou l’avant-dernier voile qui tombait entre nous. […] Vous avez réveillé une femme qui dormait encore quelque peu, et je ne pourrai jamais oublier que j’ai senti contre moi le battement précipité de toute votre chair intime. Mon amie ! Mon amie ! Qu’il faut s’aimer vraiment pour se respecter devant cette frontière extrême ! », écrit Marie-Victorin, de Cuba en février 1942, dans l’une des dernières lettres adressées à Marcelle Gauvreau (Lettres sur la sexualité humaine, présentées par Yves Gingras et Craig Moyes, Boréal, 2024).

De fait, le lien qui unissait l’homme d’Église, auteur de Flore laurentienne et fondateur du Jardin botanique de Montréal, à la jeune fille de bonne famille, qui a été son élève, sa protégée et son assistante, sortait de l’ordinaire. Animés d’une grande curiosité, assoiffés de nouvelles connaissances, les deux botanistes se sont livrés à des recherches et à des expériences sur la sexualité humaine. Dans les centaines de lettres qu’ils se sont échangées à ce propos, ils parlaient d’anatomie, d’hygiène, d’orgasmes, de menstruations d’une manière détaillée, recherchée, élégante, voire poétique.

Dans un désir tout à fait louable de respecter l’expression de leur amour sublimé en une amitié désintéressée, de laisser au spectateur la liberté d’imaginer ce qui s’est réellement passé entre ces deux êtres d’exception, Lyne Charlebois s’en est tenue strictement au contenu de leur correspondance.

Ainsi Marie-Victorin et Marcelle Gauvreau s’adressent-ils l’un à l’autre avec déférence et dévotion comme des personnages romanesques, faisant écho aux mythiques amants médiévaux Abélard et Héloïse.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Mylène Mackay et Alexandre Goyette dans Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles

Les scientifiques passionnés qu’Alexandre Goyette et Mylène Mackay interprètent ne sont toutefois pas des êtres de papier. Le premier insuffle au religieux candeur, bonhomie et force tranquille, et la seconde, grâce, volonté et sensualité à fleur de peau à la jeune botaniste. Se joignent à eux Francis Ducharme en sévère frère Léon, Rachel Graton en envieuse Rita, amie de Marcelle, Vincent Graton en père compréhensif de Marcelle, et Sylvie Moreau en truculente mère Marie-des-Anges, sœur de Marie-Victorin.

Souhaitant livrer ses propres réflexions sur la nature de l’amour d’hier à aujourd’hui et faire éclater le carcan rigide du film biographique classique, Lyne Charlebois imbrique le récit premier dans un second portant sur le tournage d’un film sur les amours de Marie-Victorin et de Marcelle Gauvreau. Tandis qu’ils discutent avec la réalisatrice (Marianne Farley) et les autres acteurs de Conrad et Marcelle, Antoine (Goyette) et Roxane (Mackay) réfléchissent à la brève liaison qu’ils ont eue.

Si la nécessité de la mise en abyme demeure discutable, les allers-retours entre le passé et le présent, entre la réalité et la fiction, se font avec fluidité, apportant tantôt de cocasses ruptures de ton, tantôt de subtils glissements où les récits se font l’écho l’un de l’autre.

Au-delà de l’hommage au frère Marie-Victorin et à Marcelle Gauvreau, grande femme demeurée trop longtemps dans l’ombre du grand homme, Lyne Charlebois témoigne de l’amour qu’ont porté les deux éminents scientifiques au territoire québécois. Grâce aux images d’André Dufour et de Christine Simard, la réalisatrice déploie la flore laurentienne dans son éclatante beauté afin de nous rappeler toute sa fragilité.

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Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles

Drame biographique

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles

Lyne Charlebois

Mylène Mackay, Alexandre Goyette, Rachel Graton, Francis Ducharme

1 h 39
En salle

7,5/10