À la fin du film, après l’ovation d’usage et des applaudissements nourris, le public avait spontanément chantonné en chœur « dabadabada », la célèbre ritournelle d’Un homme et une femme de Claude Lelouch. Aux côtés d’un Jean-Louis Trintignant diminué, Anouk Aimée dissimulait son sourire derrière sa main, émue sans doute, mais aussi manifestement gênée par tant d’attention.

C’était il y a cinq ans, au Grand Théâtre Lumière du Festival de Cannes, où Claude Lelouch venait de présenter Les plus belles années d’une vie, suite de son chef-d’œuvre de 1966, Palme d’or, Oscar du meilleur film en langue étrangère et Oscar du meilleur scénario, qui avait valu à Anouk Aimée d’être nommée à l’Oscar de la meilleure actrice (remporté par Elizabeth Taylor).

J’étais assis quelques rangées devant l’équipe du film, de biais, et je me souviens d’avoir pensé que cette icône du cinéma, disparue mardi à l’âge de 92 ans, avait la même grâce, la même élégance, et l’aura de mystère des plus grands personnages qu’elle a incarnés en 70 ans de carrière.

À commencer par cette Anne Gauthier, jeune veuve qui tombe amoureuse d’un pilote automobile (Trintignant), entre Paris et Deauville. Claude Lelouch, avec qui Anouk Aimée a tourné huit fois, a filmé à seulement 28 ans l’une des plus envoûtantes histoires d’amour du septième art, en créant un couple mythique du cinéma.

PHOTO VALERY HACHE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Claude Lelouch et Anouk Aimée à Cannes pour la présentation du film Les plus belles années d’une vie, en 2019

Grâce à Un homme et une femme, Anouk Aimée remporte le Golden Globe de la meilleure actrice et rencontre son troisième mari, le coauteur et interprète de la chanson-titre du film, Pierre Barouh. À l’époque, elle est déjà, à 34 ans, l’une des plus grandes stars du cinéma international. Elle a joué dans 35 films, dont deux Palmes d’or.

L’actrice française a trouvé sans doute le rôle de sa vie dans le premier long métrage de Jacques Demy, le splendide et mélancolique Lola (1961). Elle interprète le rôle-titre, une danseuse de cabaret, mère d’un jeune garçon, qui espère le retour du père de celui-ci. Son jeu en nuance et en retenue, sa séduisante langueur – ainsi que ses bas résille – marquent les esprits.

Elle retrouvera Jacques Demy et le rôle de Lola dix ans plus tard dans Model Shop, campé à Los Angeles.

Un an avant Lola, Anouk Aimée est révélée à l’échelle internationale grâce à La dolce vita, de Federico Fellini (qui remporte la Palme d’or), qu’elle retrouve dans la Ville éternelle en 1963 pour Huit et demi (Oscar du meilleur film en langue étrangère), toujours en compagnie de Marcello Mastroianni, son « frère de cinéma ».

« Elle appartient au grand masque du cinéma avec ce visage qui a la même sensualité intrigante que celle de Garbo, Dietrich et Crawford, ces grandes reines mystérieuses », dit d’elle Fellini. « En rencontrant Fellini, j’ai commencé à aimer le cinéma. Jusque-là, le cinéma m’avait choisie, mais pas moi », confiait en 2022 l’actrice au quotidien français Libération.

Elle tourne beaucoup en Italie, où elle s’installe dans les années 1960 avec sa fille, l’actrice Manuella Papatakis, née de son union à 19 ans avec le cinéaste Nico Papatakis. Vittorio De Sica, Dino Risi, Sergio Corbucci font appel à elle. Elle remportera en 1980 le Prix d’interprétation féminine à Cannes pour Le saut dans le vide, de Marco Bellocchio, puis tournera avec Bernardo Bertolucci.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Anouk Aimée et son quatrième mari, l'acteur Albert Finney, en 1970

En 1979, elle est nommée aux Césars pour Mon premier amour, d’Élie Chouraqui, avec qui elle partage sa vie. Il s’agit de son grand retour au cinéma après un hiatus d’une demi-douzaine d’années où elle a consacré l’essentiel de son quotidien à être l’épouse, à Londres, de son quatrième mari, l’acteur Albert Finney.

Née Nicole Françoise Florence Dreyfus à Paris le 27 avril 1932, Anouk Aimée se fait appeler Nicole ou Françoise Durand pendant la Seconde Guerre mondiale, pour échapper aux rafles allemandes. Fille de comédiens séparés, elle emprunte à 13 ans le prénom du personnage de son premier film, La maison sous la mer, d’Henri Calef (1947). Sur le tournage de son deuxième film, l’inachevé La fleur de l’âge, de Marcel Carné, Jacques Prévert lui propose d’y ajouter le patronyme « Aimée », « parce que tout le monde l’aime ».

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Anouk Aimée a reçu un Ours d’or à Berlin pour l’ensemble de son œuvre en 2003.

C’est au cinéma, essentiellement, qu’elle a fait carrière. Elle a reçu en 2002 un César d’honneur, en 2003 un Ours d’or à Berlin pour l’ensemble de son œuvre et en 2006, un nouvel hommage du Festival de Cannes.

Elle a peu fait de théâtre, donnant la réplique à différents acteurs (Trintignant, Philippe Noiret, Alain Delon, Gérard Depardieu) dans la même pièce, Love Letters, d’Albert Ramsdell Gurney, sur une période de 25 ans. On l’a aussi peu vue à la télévision, notamment dans la minisérie Napoléon, du Québécois Yves Simoneau.

Anouk Aimée a tourné dans 74 films, en France, en Italie, mais aussi aux États-Unis, notamment avec Sidney Lumet (The Appointment), George Cukor (Justine) et Robert Altman (Prêt-à-porter). « Dès que vous faites un film qui a du succès, tout d’un coup, toutes les portes s’ouvrent. Je recevais des scénarios du monde entier », confie-t-elle en 2016 au magazine Elle.

Égérie des années 1960, incarnation de l’élégance féminine française, Anouk Aimée restera, grâce au cinéma, éternelle.

Anouk Aimée en trois films

Un homme et une femme (Claude Lelouch, 1966)

Un pilote de rallye (Jean-Louis Trintignant) suit en voiture sur la route de Deauville à Paris le train d’une jeune femme (Anouk Aimée) qui vient de le quitter. Tentant le tout pour le tout, il l’attend sur le quai de la gare Saint-Lazare. Les amants s’enlacent. Le film remporte la Palme d’or et Anouk Aimée, le Golden Globe de la meilleure actrice.

Offert sur Apple TV+

La dolce vita (Federico Fellini, 1960)

Marcello (Marcello Mastroianni) se promène Via Veneto dans la Cadillac de Maddalena (Anouk Aimée), bourgeoise romaine en manque de sensations fortes. Ils deviendront amants dès le premier chapitre de La dolce vita, film qui vaudra à Federico Fellini la Palme d’or à Cannes et fera d’Anouk Aimée une star internationale.

Offert sur YouTube, Google Play et The Criterion Channel

Lola (Jacques Demy, 1961)

Cécile (Anouk Aimée) est chanteuse et danseuse dans un cabaret de Nantes fréquenté par des marins, sous le nom de scène de Lola. Elle élève un garçon de 7 ans dont elle attend le retour du père, Michel, disparu à sa naissance. Toute l’œuvre à venir de Jacques Demy se profile dans ce premier film doux-amer.

Offert sur The Criterion Channel