Réalisateur de Bon Cop, Bad Cop, l’un des plus grands succès du cinéma québécois, Érik Canuel est mort le samedi 15 juin, à Montréal, d’une leucémie à plasmocytes secondaire, à 63 ans. Le cinéaste souffrait depuis sept ans d’un myélome multiple.

« Jusqu’à la fin, Érik a été d’un courage, d’une force et d’une résilience à toute épreuve. Il nous a donné une grande leçon de vie », rapporte son frère, l’acteur Nicolas Canuel, joint au téléphone. « Je l’ai accompagné avec sa blonde quand la maladie est devenue plus virulente. Jusqu’aux derniers jours, il avait la passion du cinéma, il était dans le bonheur et voulait nous faire rire. Il aurait voulu finir ses jours à la campagne, mais quand il a décidé d’aller aux soins palliatifs, ç’a duré deux jours. »

Né à Montréal en 1961, fils des acteurs Yvan Canuel (1935-1999) et Lucille Papineau, Érik Canuel n’a pas tardé à découvrir sa vocation, comme le raconte son frère cadet : « Nous partagions une passion du métier depuis l’enfance puisque nous avons travaillé au théâtre avec notre père, puis ensemble au cinéma. Très, très jeune, il faisait de la bande dessinée, il avait déjà le cadre dans l’œil. Très tôt, son langage cinématographique s’est développé. Il savait comment faire parler la caméra. Il était toujours en train de lire des livres sur les techniques du cinéma et les réalisateurs. Il avait une mémoire des artisans assez hallucinante. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Nicolas Canuel, en 2015

Après des études en production de films à Concordia et la réalisation de plusieurs vidéoclips, d’épisodes de la série britanno-canadienne The Hunger (1997-1998) et de la série québécoise Fortier (1999), ainsi que le téléfilm américain Blackheart : Monster Masher (2000) et le court métrage documentaire Hemingway : A Portrait (1999), pour lequel il remporte un prix Genie, le réalisateur fait une entrée remarquée dans le paysage cinématographique québécois avec son premier long métrage, La loi du cochon (2001), sur un scénario de Joanne Arseneau.

« Ça défrisait, ce film-là ! », se souvient Patrick Roy, à l’époque vice-président d’Alliance Vivafilm. « C’était du jamais vu au Québec, un thriller très américain, très moderne, avec de l’humour noir, un petit miracle fait avec peu de moyens. J’ai adoré travailler avec Érik. Sous ses dehors rock’n’roll, c’était quelqu’un d’attachant, de sympathique, d’agréable, un bon gars assez direct, un grand sensible et quelqu’un avec qui c’était facile de travailler. Avec Érik, on était toujours en confiance. »

« Une machine de guerre »

Tandis qu’il poursuit une prolifique carrière du côté du Canada anglais et des États-Unis, Érik Canuel s’impose au Québec et démontre sa polyvalence avec la comédie sentimentale Nez rouge (2003), le thriller Le dernier tunnel (2004), où il dirige deux géants, Michel Côté et Jean Lapointe, et Le Survenant (2005), d’après le roman de Germaine Guèvremont.

« Érik Canuel était une machine de guerre à l’énergie hors du commun. Il m’a fait confiance pour deux projets déterminants de ma carrière, La loi du cochon et Le Survenant. […] C’était impossible de ne pas embarquer dans ses trips, tellement il galvanisait l’équipe avec son enthousiasme délirant. Érik, tu étais un personnage plus grand que nature. Un bad boy au cœur immense. Tu m’en as fait vivre de belles affaires ! », a partagé Catherine Trudeau sur ses réseaux sociaux.

  • Érik Canuel et Jean-Nicolas Verreault lors du tournage du Survenant en 2004

    PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

    Érik Canuel et Jean-Nicolas Verreault lors du tournage du Survenant en 2004

  • Patrick Huard, Érik Canuel et Julie Le Breton lors de la tournée de promotion pour le film Cadavres, sorti en 2009

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    Patrick Huard, Érik Canuel et Julie Le Breton lors de la tournée de promotion pour le film Cadavres, sorti en 2009

  • Catherine Trudeau, Érik Canuel, Anick Lemay et François Chénier sur le tapis rouge du film Le Survenant en 2005

    PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

    Catherine Trudeau, Érik Canuel, Anick Lemay et François Chénier sur le tapis rouge du film Le Survenant en 2005

  • Colm Feore, Érik Canuel et Patrick Huard sur le tapis rouge de Bon Cop, Bad Cop en 2006

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    Colm Feore, Érik Canuel et Patrick Huard sur le tapis rouge de Bon Cop, Bad Cop en 2006

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« Le Survenant, c’était peut-être pas naturel pour Érik, mais l’ayant revu il y a deux ou trois ans à la télé, ça demeure un film magnifique qui a bien vieilli. Érik y a montré toute sa sensibilité et prouvé toute sa polyvalence. Il pouvait faire n’importe quoi, c’était un excellent technicien », affirme Patrick Roy.

En 2006, avec la comédie policière Bon Cop, Bad Cop, où Patrick Huard et Colm Feore forment un duo de choc, Érik Canuel fracasse le box-office avec des recettes de plus de 12 millions. Si le Jutra de la réalisation lui échappe en 2007, il remporte celui du Film s’étant le plus illustré à l’extérieur du Québec l’année suivante.

« Il y a eu des enjeux de financement, raconte Patrick Roy. Avec Patrick Huard, qui était aussi l’un des scénaristes, il a dû faire des changements importants. Il a prouvé son grand professionnalisme et qu’il était capable de se virer sur un 10 cents dans des conditions pas toujours faciles. Érik avait un style très unique, qui n’a pas été imité ; il a été l’un des premiers à faire du cinéma de genre. Il a amené notre cinématographie là où elle n’était jamais allée. »

Un grand passionné de cinéma

« Érik Canuel était non seulement un réalisateur de films de genre, c’était le réalisateur de tous les genres, a écrit sur Facebook Marc Lamothe, directeur des partenariats de Fantasia. Comme Jean-Claude Lord, Yves Simoneau, André Melançon et Roger Cantin, c’est un artiste qui a su défoncer des portes pour permettre à des générations de donner dans le genre au Québec. Dès l’hiver dernier, j’échangeais régulièrement avec Érik, car le festival souhaitait lui remettre cet été le prix Denis-Héroux, un prix de carrière soulignant une contribution exceptionnelle au développement et à la diffusion du cinéma de genre et du cinéma indépendant québécois. »

Le prix sera décerné à titre posthume lors d’une projection d’une copie 35 mm de La loi du cochon, le 22 juillet. Depuis 2019, où il avait signé quatre épisodes de la série Transplant, Érik Canuel, à qui l’on doit aussi Cadavres (2009) et Lac Mystère (2012), n’avait plus tourné.

« Mon frère était le plus grand passionné de cinéma que j’ai connu. Il voulait encore faire du cinéma, il avait deux ou trois projets en tête. Il recevait encore des offres, mais ce n’était plus possible à cause de la maladie. Notre dernière production ensemble aura été 9 – le film, écrit par Stéphane E. Roy ; je jouais dans le segment qu’il avait réalisé, “Halte routière” », confie Nicolas Canuel.

« Érik avait tellement de projets, il avait cette folie de vouloir tout tourner. Il s’amusait follement à raconter des histoires avec une telle énergie, une telle générosité. Pendant sept ou huit ans, il a tourné un film par année. Rares sont les réalisateurs qui ont navigué à travers les genres avec autant d’intelligence ; il avait su rendre le cinéma commercial, accessible et rassembleur. C’est une grosse perte pour le cinéma », conclut Nathalie Brunet, qui a été l’agente du cinéaste durant 28 ans.