(Cannes) Donald Trump mène sa vie et ses affaires selon trois règles d’or : l’attaque est la meilleure défense, il ne faut rien admettre, tout nier, et il ne faut jamais concéder la victoire. Ce crédo, il l’a emprunté au controversé avocat Roy Cohn, selon The Apprentice d’Ali Abbasi, présenté lundi en compétition à Cannes.

Ce drame biographique, dont le titre évoque la téléréalité animée par Donald Trump de 2004 à 2015, est le portrait peu flatteur et assez classique dans sa forme d’un jeune loup de l’immobilier devenu sociopathe assoiffé de pouvoir, sous l’égide d’un mentor retors.

Le cinéaste danois d’origine iranienne du troublant thriller Holy Spider, qui a valu le prix d’interprétation féminine à Cannes à Zahra Amir Ebrahimi en 2022, s’intéresse à ce qui a forgé la personnalité de Donald Trump dans les années 1970 et 1980. À la manière dont son manque de confiance s’est transformé en arrogance puis en mégalomanie ; et aux raisons qui expliquent que la frontière entre la vérité et le mensonge est devenue pour lui un objet flou et malléable au gré de ses intérêts.

Au cœur de l’intrigue, il y a un pacte faustien entre Donald Trump et Roy Cohn, redoutable avocat et entremetteur politique, manipulateur, menteur et maître chanteur réactionnaire, plusieurs fois accusé de verser dans des affaires louches, mais jamais condamné.

Dans le rôle du jeune Trump, Sebastian Stan (le Winter Soldier des films et séries de Marvel) a assimilé la moue, la parole et la gestuelle typiques de l’ancien président des États-Unis. Il est à la lisière de la caricature de type Saturday Night Live, et j’ai mis un moment à y parvenir, mais j’ai fini par croire au personnage au-delà du pastiche.

Jeremy Strong est excellent dans le rôle de Roy Cohn, le procureur juif et antisémite qui envoya à la chaise électrique les époux Rosenberg dans les années 1950 et qui conseilla le sénateur McCarthy dans sa chasse aux communistes. Cohn était aussi un homophobe qui niait son homosexualité, et qui est mort du sida en 1986.

PHOTO LOIC VENANCE, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’actrice Maria Bakalova, le réalisateur Ali Abbasi et l’acteur Sebastian Stan

C’est l’influence du Pygmalion sur son poulain que raconte The Apprentice, et il est évidemment impossible de ne pas voir dans la philosophie cynique de Cohn le germe de ce qui menace aujourd’hui la démocratie américaine (et mondiale). Le film semble défendre une thèse : si Donald Trump n’avait pas rencontré Roy Cohn, peut-être ne serait-il pas devenu cet être méprisable, sans le moindre scrupule ni la moindre empathie, prêt à vendre sa mère pour son propre avancement.

Le film d’Ali Abbasi commence avec les images célèbres de Richard Nixon qui déclare qu’il n’est pas un escroc (« I am not a crook »). Le scénario de Gabriel Sherman, qui a connu Donald Trump dans les années 2000 alors qu’il était journaliste aux pages économiques du New York Observer, semble en revanche presque sympathique à Trump au début du film.

Sherman présente le jeune Donald Trump comme un homme qui n’a pas encore renoncé aux principes élémentaires de la justice et n’en fait pas une caricature d’idiot sans talent. Certes, son père était riche et il en a profité, mais il avait aussi du flair pour les affaires.

Avant de trouver en Cohn une figure paternelle, le jeune Donald du début du film veut surtout rendre fier son père, intransigeant, qui l’a élevé à la dure, tout en s’extirpant de son ombre. Il ressemble en cela au personnage de Kendall qu’incarne Jeremy Strong dans la série Succession…

Comme son père raciste, Donald Trump divise dans The Apprentice le monde en deux catégories : il y a d’un côté les « tueurs », et de l’autre les losers. « Tu dois être capable de tout faire, contre tout le monde, pour gagner », lui explique Roy Cohn, qui le fera passer grâce à ses contacts de requin ambitieux à magnat de l’immobilier pendant les années Reagan, favorables au capitalisme sauvage.

Avec le temps, moins Trump écoute les conseils de Cohn – qui lui enjoint notamment de ne pas investir à Atlantic City –, plus le scénario de Gabriel Sherman révèle la nature incontrôlable du monstre que le mentor a contribué à créer. Jusqu’à une scène d’une violence troublante où, après avoir insisté pour que sa femme Ivana (Maria Bakalova) obtienne une augmentation mammaire, Donald Trump la répudie et la viole. Ce qu’Ivana Trump a effectivement clamé au moment de leur divorce, mais qu’elle a nié par la suite.

The Apprentice laisse entendre que Trump entretenait des maîtresses (dont Marla Maples), mais aussi des liens avec la mafia par l’entremise de Roy Cohn. Trump était par ailleurs accro aux médicaments contre la prise de poids et souffrait de dysfonction érectile, a subi des liposuccions et des interventions chirurgicales pour masquer sa calvitie.

Est-ce que le film pourrait nuire à l’image du candidat républicain, à l’aube de la prochaine campagne présidentielle américaine ? « Quand on a donné la Palme d’or à Michael Moore pour Fahrenheit 9/11, cela a-t-il eu un impact sur la réélection de George Bush ? Non », a répondu le délégué général du Festival de Cannes, lorsqu’on lui a posé la question il y a une semaine.

Difficile de le contredire : les films présentés à Cannes prêchent d’ordinaire aux convertis, et Trump incarne une image des États-Unis à laquelle une très grande proportion de l’électorat souscrit. Et puis je serais très étonné que The Apprentice remporte la Palme d’or…

Les frais d’hébergement pour ce reportage ont été payés par le Festival de Cannes, qui n’a eu aucun droit de regard sur celui-ci.