(Cannes) Le Canadien David Cronenberg, un habitué de la Croisette, est de retour en compétition avec The Shrouds (Les linceuls), un film à teneur autobiographique mettant en vedette Vincent Cassel et Diane Kruger.

C’est l’histoire de Karsh (Cassel), un homme d’affaires de 50 ans, inconsolable depuis la mort de sa femme, quatre ans plus tôt. Il invente un système controversé qui permet à ses clients endeuillés de suivre la progression de la décomposition de la dépouille de l’être cher en temps réel, grâce à une caméra 8K, un écran sur une stèle funéraire et un linceul électronique.

Karsh souhaite exporter son concept révolutionnaire et s’associe à des investisseurs chinois pour la fabrication des linceuls, croisements entre le cocon d’une chenille et un costume de samouraï. Une nuit, plusieurs tombes, dont celle de sa femme, sont vandalisées. Il voudra découvrir les responsables. Des militants écologistes islandais, qui s’opposent à la venue chez eux de ce concept de cimetière high tech ? Des adversaires du monde des affaires ? Des espions russes ou chinois ?

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL DE CANNES

Vicent Cassel dans une scène de The Shrouds

Cronenberg, 81 ans, a imaginé ce scénario après la mort de sa femme, la monteuse et cinéaste Carolyn Zeifman, en 2017. Il s’est intéressé plus précisément aux questions qui peuvent s’immiscer dans l’esprit des personnes endeuillées et qui s’apparentent parfois à des théories du complot : est-ce que le corps médical en a fait assez ? Est-ce que tel médicament a été privilégié au profit d’un autre, en raison de pressions de l’industrie pharmaceutique ?

Dans le rôle de Karsh, Vincent Cassel a des airs – sans doute volontaires – de David Cronenberg, avec ses cheveux gris en brosse. Il ressemble de plus en plus à son père, Jean-Pierre. Diane Kruger interprète à la fois la femme de Karsh, morte d’un cancer qui lui a grugé les os – et qui se rappelle à son souvenir dans d’incessants cauchemars –, sa sœur jumelle, une toiletteuse pour chiens adepte de théories du complot, ainsi qu’une assistante créée par l’intelligence artificielle et qui répond au nom de Hunny.

Lorsque l’ex-beau-frère de Karsh, un crack informatique à l’imagination fertile (Guy Pearce), entre en scène, l’intrigue de ce thriller technologique froid et énigmatique, typiquement cronenbergien, se complexifie. Et pas pour le mieux.

Les réflexions métaphysiques de David Cronenberg sur l’évolution de l’humanité et de la technologie ont beau être intéressantes – The Shrouds est une suite logique à Crimes of the Future –, son nouveau film est particulièrement verbeux et ronflant lorsqu’il aborde les questions de spiritualité, de deuil et de ce qui « voile » la réalité (comme un linceul).

Ces élucubrations ne coulent pas de source dans la bouche de Vincent Cassel, présenté ici comme un immigrant de l’Europe de l’Est. Son jeu est forcé, et son débit en anglais, loin d’être naturel. Ce manque de fluidité, alors que les dialogues sont denses, fait conclure à un mauvais casting, malgré tout le talent de Cassel.

Comme si le concept de « voyeurs de tombes » n’était pas en soi assez morbide et sordide, Cronenberg ajoute pour bonne mesure des scènes de sexe plaquées qui font sombrer The Shrouds dans la caricature de son œuvre : une base de Videodrome, un soupçon de Dead Ringers, deux cuillérées de Crash… Avec, à la clé, une scène finale qui laisse dubitatif. Dommage.

Body horror féministe

LE film marquant de body horror de cette compétition cannoise n’est pas signé David Cronenberg, mais Coralie Fargeat, cinéaste française de 48 ans, révélée en 2017 grâce à Revenge, film gore féministe qui se termine par un bain de sang. Disons-le d’emblée, pour les âmes sensibles qui voudront s’abstenir, The Substance est à Revenge ce qu’une piscine est à une pataugeoire…

Il n’y a pas de candidat à la Palme d’or qui a davantage suscité de réactions jusqu’à présent, dans tout le spectre des émotions. Dimanche soir à la projection du Théâtre Debussy (1000 places), il y a eu bien des rires, beaucoup de grimaces sonores, quelques départs précipités et un tonnerre d’applaudissements au générique de fin.

Avec ses multiples références au cinéma des années 1970 et 1980, du giallo à The Elephant Man, en passant par Carrie et The Shining, The Substance est un thriller d’horreur et de science-fiction jouissif, subversif et transgressif que n’aurait certainement pas renié le David Cronenberg de Scanners, The Fly et Videodrome.

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL DE CANNES

Demi Moore dans The Substance

Grâce à une technologie futuriste, on fait miroiter une cure de jeunesse révolutionnaire à Elizabeth Sparkle (Demi Moore). Un producteur machiste (Dennis Quaid) vient de faire comprendre à cette actrice oscarisée, recyclée depuis des décennies dans la télévision matinale de mise en forme, qu’elle a excédé avec la cinquantaine sa « date de péremption ».

Aucune intervention chirurgicale ne peut masquer son âge, alors elle se tourne vers la Substance, formule révolutionnaire offerte sur le marché noir, qui permet grâce à la division cellulaire de générer une autre version de soi-même, « plus jeune, plus belle, plus parfaite », à condition de partager son temps avec son alter ego, à raison d’une semaine à la fois.

Elizabeth se dédouble en Sue (Margaret Qualley, aussi de la distribution du film en compétition de Yórgos Lánthimos), une jeune femme extrêmement tonique. « Vous n’êtes qu’une », rappellent les mystérieux créateurs de la Substance à Elizabeth. Mais qu’arrive-t-il si son double ne respecte pas les règles ?

PHOTO CHRISTINE TAMALET, FOURNIE PAR LE FESTIVAL DE CANNES

Margaret Qualley dans The Substance

The Substance, qui tient en haleine avec un rythme endiablé, est bien plus qu’un film sanguinolent qui fait parfois détourner le regard de l’écran (il y a bien des injections de liquides et des corps purulents). C’est une réflexion sur le vieillissement et la jeunesse, la vanité et le besoin d’amour, l’ambition dévorante et la part de soi que l’on n’aime pas. C’est une dénonciation des diktats de beauté imposés par les sociétés patriarcales et intériorisés par quantité de femmes. C’est un pamphlet féministe, tout sauf didactique, contre l’injonction faite à la femme d’être belle.

Demi Moore y trouve son rôle le plus intéressant depuis longtemps. Un rôle autoréférentiel qui a certainement requis d’elle beaucoup d’humilité et une bonne dose de courage (elle est filmée sous toutes ses coutures, puis enlaidie).

« Je ne dirais pas qu’on a fait un film contre les hommes, mais contre les abrutis ! », a déclaré Demi Moore en conférence de presse lundi.

La mise en scène de Coralie Fargeat ne manque surtout pas de style, mais m’a semblé moins m’as-tu-vu que celle de Revenge. Comme dans son précédent long métrage, la cinéaste filme les jeunes femmes en hypersexualisant leur corps, afin de dénoncer l’objectification dont elles font l’objet dans la société. C’est un procédé post-féministe qui peut bien sûr être mal interprété.

« J’espère que le film n’est pas vu comme une exploitation, dit Coralie Fargeat. Mon intention était d’insister sur le fait que notre corps de femme définit comment nous sommes perçues en société. La violence est extrême. »

The Substance compte des scènes parmi les plus violentes qu’il m’ait été donné de voir au cinéma, moi qui ne suis pas un adepte de films d’horreur. Il devient aussi de plus en plus rocambolesque et sanglant au fil de ses 2 h 20, jusqu’à une finale complètement délirante. Certains vont adorer, d’autres vont détester. Je lui prédis une place au palmarès.

Les frais d’hébergement pour ce reportage ont été payés par le Festival de Cannes, qui n’a eu aucun droit de regard sur celui-ci.